Mme Ducros

30 novembre 2008 0 Par Catnatt

Edward S Curtis

Mme Ducros. Pas glamour, ça, comme nom. Mme Ducros. Notre femme de ménage pendant des années et des années. J’ai eu la sensation, à tort peut être d’être une enfant très seule. Très esseulée, réfugiée dans un monde imaginaire, de livres et d’histoires. Mais il y avait une présence parfois. Mme Ducros. Nous ne nous adressions jamais la parole. Ou pour des choses très pragmatiques. C’était une femme forte dans tous les sens du terme.Et je la trouvais infiniment sécurisante. Quand je rentrais seule de l’école, elle était parfois là. Quand j’étais seule le mercredi toute la journée de 8h à 19h, elle était parfois là. J’entendais ensuite la lourde porte de la maison se refermait sur elle et j‘étais seule. À nouveau.

 

Je garde un souvenir de cette maison d’une hideur absolue à mon avis, merveilleux. C’était un énorme carré, rez-de-chaussée, 1er étage. Deux larges escaliers de chaque coté menaient à la porte d’entrée qui se situait contre toute attente au 1er étage. Nous vivions là, au rez-de-chaussée, se situait l’appartement de mes sœurs aînées, ma salle de jeu beaucoup trop immense pour une gamine seule, le garage, et un genre de cave que j’avais investi aussi. Je disposais donc à moi toute seule d’une chambre de 30m2, d’une salle de jeu de 40m2 et d’une « cave » de 20m2…..Autant vous dire que Mme Ducros avait beaucoup de boulot ! Elle allait et venait dans la maison, silencieuse et efficace. Je crois que je l’adorais. Elle était tout ce que j’aurais voulu avoir : calme, concentrée, apaisante, concrète. Là. Bien là. Oui, je crois bien que je l’adorais. Elle ne m’a jamais fait la moindre remarque sur mon aptitude innée à foutre le bordel partout où je passais. Ou elle n’osait pas m’envoyer bouler peut être. Je crois qu’en fait, peut être que malgré ma maison de Barbie installée sur deux étagères de 4 m de long, malgré tous les jouets, malgré le confort, malgré les apparences, je devais lui faire mal au cœur. Ou pitié, au choix.Elle qui devait galérer comme une malade pour joindre les deux bouts chaque mois, je devais être le symbole de « l’argent ne fait pas le bonheur ». Je me souviens de son odeur, moitié produits détergents moitié elle. Je me souviens de ses blouses de ménage. Je me souviens de ses mains, des mains larges et abimées. Je me souviens de ses bras m’entourant et me serrant fort, je ne sais pourquoi.

 

Je me souviens surtout du départ. Ma mère a refusé pendant des années de devenir propriétaire. Elle ne voulait être liée à rien. Elle « ne voulait pas se priver pour une foutue baraque de merde ». Mon père, ça le rendait cinglé, ce fric foutu en l’air pendant quasi 30 ans. Et puis, un jour, ma mère s’est décidée. Pourquoi ? On n’a jamais su. Ou elle savait qu’elle allait mourir deux ans après, allez savoir….Bref, du jour au lendemain, ma mère a fait un caprice pour s’acheter une baraque de merde, dans un lotissement de merde. Le tout moche et fonctionnel. Un choix très étrange, incohérent. On aurait dû se méfier, ma mère partait déjà en vrille probablement à cause de sa tumeur au cerveau. Elle se plaignait de maux de tête depuis bien trop longtemps.

 

Je fais un aparté non prévu dans ce texte. Je me suis toujours sentie coupable vis-à-vis de ma mère. Je trimballe ce truc depuis des années. Mais en écrivant ce texte, et en réfléchissant à tout cela, je me rends compte d’une chose qui ne m’avait jamais sauté à la figure. Quand nous avons déménagé, un concours de circonstance a fait que mon père est parti travailler à Marseille. Je crois que cela n’allait pas fort entre mes parents. Je ne rappelle pas de grand chose sauf d’une ambiance très particulière. À savoir que je vivais seule avec ma mère et que moi, seule, m’étais rendu compte qu’elle n’allait pas bien. J’ai des flashs. Où ma mère est toujours triste.Où elle fait des trucs bizarres. Et que le point d’orgue de tout cela, c’est quand, en voiture, sa tumeur au cerveau la perturbant, elle a conduit à contre-sens et a failli probablement nous tuer toutes les deux. Moi, je savais. Je crois que l’incident du contre-sens, j’en ai parlé à mon père à l’époque. Mais je ne suis pas sure. Ce que j’essaye de dire, c’est que je réalise, là, maintenant, qu’une partie de ma culpabilité vient de là. Je le savais. Du haut de mes quinze ans, je savais que ma mère était malade. Et je n’ai rien dit. Quand on a découvert sa tumeur au cerveau, c’était trop tard…

 

Donc le déménagement. J’ai 14 ans et je suis dégoûtée. Je venais juste d’avoir la permission de m’installer entièrement au rez-de-chaussée, mes sœurs étant parties depuis bien longtemps Grosso modo, j’étais probablement la seule gamine en France à disposer d’une surface de 100m2 pour elle toute seule…Le caprice de ma mère va foutre en l’air tous mes projets et oui, je lui en veux encore. Un peu. Et comme nous nous installons en Ardèche, adieu Mme Ducros. Je crois que j’ai pleuré. Je crois que j’ai eu de la peine très longtemps. À cause de ma maison et de ma dame de compagnie. Car c’était cela au final, Mme Ducros. Ma dame de compagnie. Une présence tendre et sécurisante. Ce fut terminé. Le déménagement n’a pas eu seulement lieu de maison à maison, mais de vie à vie. Ce ne fut plus jamais pareil.

 

Il n’y a plus jamais eu autour de moi une personne tranquille et apaisante. Une personne stable. Une personne vers qui je pouvais me tourner, qui me souriait tranquillement, sans mot dire, mais qui semblait me murmurer que tout irait bien….

 

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