Cher Monsieur Hollande
Cher Monsieur Hollande,
1 :12 : 30
C’est le temps qu’a duré votre discours. J’en ai loupé la moitié et je ne doute pas que c’était fort intéressant. Je vous ai même trouvé excellent par moment et je ne vois pas comment je n’aurais pas pu être d’accord avec vous globalement.
Sauf
1 : 03 : 40
« Nous avons fait le plus facile. Nous avons attiré plus de trois millions de français pour voter pour tous les nôtres. Mais là, il faut en attirer bien plus. En faire venir bien davantage. Et il s’agit d’être majoritaire. 20 millions. 22 millions. Enfin, je n’ai pas de limites. Nos concitoyens doivent faire le choix du candidat socialiste et radical puisque maintenant j’ai aussi cette investiture. La victoire, elle se fait au premier tour et donc j’appellerai, sans risque de pouvoir être contredit et sans volonté d’écraser je ne sais quel parti partenaire, j’appellerai à voter tous les électeurs, qui veulent gagner l’élection présidentielle, à le faire dès le premier tour. Parce que, c’est là que nous aurons l’avance la plus forte, si elle est là, c’est là que nous assurerons notre présence au second tour. Je n’oublie pas, et gardez-vous surtout de cette illusion, je n’oublie pas le 21 avril. Je sais qu’aujourd’hui, dans les sondages, l’extrême droite fait plus que ce qu’elle faisait il y a plus de 10 ans. La bataille n’est pas jouée. Aujourd’hui, on m’annonce des sondages qui n’ont aucun sens et qui risqueraient de vous démobiliser et qui ne peuvent que baisser, rendez-vous compte de la malédiction, il faudra tenir bon. Mois, après mois, ce sera une chute que nous essaierons de retenir, mais c’est au premier tour qu’il faudra faire l’effort et ne pas attendre le second, ne pas croire que Nicolas Sarkozy, lui, ne va pas s’engager, il n’a pas besoin d’être candidat, il l’est depuis le premier jour de son élection. Il l’est avec tous les moyens de l’Etat. Il l’est en se déplaçant dans tous les départements de France, je crois qu’il les a tous fait, c’est un record, et personne ne l’a vu. C’est aussi là le caractère cocasse de ses déplacements. Il promet à tous, il joue les vertueux mais il distribue les fonds publics. Ce sera une bataille difficile, je l’ai souvent relevé, c’est un mauvais Président, chacun en convient, mais comme candidat mais il a du savoir-faire. Alors il faudra être là, vous tous présents ici, ceux qui sont venus à la primaire et ceux qui ont hésité à le faire, pensant que ce n’était pas leur place, eh bien ce sera leur devoir maintenant de permettre le changement.
1 : 06 : 48
Je m’arrête là. A 5 minutes de la fin de votre discours au long fleuve, vous avez consacré 3 minutes à une bonne séance de culpabilisation.
Bravo.
A ceux et celles qui m’ont expliqué que François Hollande proposait et que je disposais, je réponds par la négative. Le mot « devoir » est employé à deux reprises dans cette élocution. Avec une bonne séance de faux-culterie au milieu : « sans risque de pouvoir être contredit et sans volonté d’écraser je ne sais quel parti partenaire ». Il faudra m’expliquer par quel truchement on peut mettre dans la même phrase « sans risque d’être contredit » et « sans volonté d’écraser ». Avouez que la dialectique est sacrément intéressante.
J’ai voté Montebourg au premier tour des primaires et j’ai voté pour vous Monsieur Hollande au second. J’ai voté Montebourg par conviction car je crois à une VIème République nécessaire. J’ai voté pour vous par souci d’efficacité. Pas tellement que vous m’ayez convaincue mais hélas, je ne crois pas que la France soit prête pour une femme Présidente (Je précise que le congrès de Reims me reste en travers de la gorge ainsi que l’affaire Guerini).
Voyez où j’en suis.
Quand j’ai entendu votre laïus cité au-dessus, je me suis mise en colère. Le timing est significatif, vous avez attendu la fin pour agiter le spectre du 21 avril. Encore une fois, vous avez employé le mot « devoir », culpabilisant ainsi ceux et celles qui auraient le malheur d’oser choisir un autre parti que le votre. Finalement, ce qui est le plus intéressant dans tout ça, c’est que vos deux leviers majeurs sont fondés sur le rejet. Rejet du cauchemar 2002, rejet de Nicolas Sarkozy. Le levier a le même ressort : la peur. Vous venez de faire cause commune avec votre adversaire politique quelque part, puisque c’est le joujou favori de Nicolas Sarkozy.
Je trouve aberrant qu’en France, la politique se joue sur la peur. Que je sache, les élections présidentielles de 2002 n’ont pas été truquées. Le résultat était déplaisant, certes, mais finalement vous n’avez strictement rien compris et vous ne vous êtes pas remis en cause. Parce que ce qui est sous entendu tout de même dans votre discours, c’est que c’est de la faute des électeurs, le programme socialiste n’a rien à voir avec l’affaire.
Bravo.
Il aurait été de bon ton d’au moins reconnaître que le parti socialiste n’a peut-être pas été efficace, sur de son bon droit en tant que parti essentiel de France. Comme l’UMP se roule dedans aussi. Pêché d’orgueil…
Ce que vous avez dit en substance, Monsieur Hollande – du moins, c’est ainsi que je l’ai interprété – c’est que les Français étaient prisonniers du bipartisme et que c’était très bien ainsi finalement. Sans risque d’être contredit, n’est-ce pas ?
Eh bien, vous savez quoi Monsieur Hollande, je me réserve le droit, et je fais fi de mon devoir envers vous, de ne pas voter pour le parti socialiste. Je vois mal comment l’on peut faire côtoyer dans un même discours les mots « rêves » et « devoir ». Comment peut-on jouer à la fois sur le mythe de Martin Luther King et sur la peur d’un second 21 avril ?
Lorsque nous avons fait la révolution en France, c’était aussi pour ne plus avoir peur. Je ne vois rien de démocratique dans cette prise d’otage politique que vous avez effectué hier. C’est même une marque de mépris vis à vis des Français qui ont fait le choix, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, du Front National.
Cela fait plus de dix ans que cet événement, certes traumatisant, a eu lieu. Combien de temps allez-vous l’agiter devant nous ? Combien de temps allez-vous nous faire payer ce choix librement posé ?
Je vous écris aujourd’hui en espérant que vous allez cesser ce petit manège. Figurez-vous que les Français se souviennent parfaitement du 21 avril. Je suis entourée d’une majorité de personnes qui font ce calcul-là, calcul qui se résume schématiquement à « Je ne voterai pas pour un programme, je voterai contre ». Contre Sarkozy, contre 2002. Je respecte ça même s’il s’agit d’un hold-up finalement. Combien de temps l’UMP et le Parti Socialiste vont-ils nous voler le premier tour des élections présidentielles ? J’ai longtemps raisonné de la sorte, et je suis fatiguée de rogner par devoir sur mes convictions.
Ce qui s’est passé en 2002 n’est pas de l’ordre de l’accident. C’était une vraie élection. Peut-être pour la première fois, les Français, qui se sont déplacés, se sont libérés du bipartisme et voilà qu’on les fait payer à l’infini. Et voilà la mécanique du vote utile bien installée.
La politique au premier tour, ce n’est pas du vote utile. C’est un choix de conviction. Tâchez de convaincre Monsieur Hollande. Vous n’aurez pas mon vote parce que j’y suis obligée. C’est une forme de dictature intellectuelle et j’y suis réfractaire. Vous aurez mon vote si votre programme me convient.
Je vous le dis, sans risque d’être contredite et sans volonté d’écraser. Là au moins, ces mots ont du sens…
Ce qui est bien ici, surtout un dimanche matin où la flemme peut s’assumer comme telle, c’est de lire très clairement et très exactement ce que l’on pense tout pareil, mais en vachement mieux écrit qu’on le ferait.
Franchement, l’état psychologique dans lequel baigne la France actuellement est atroce. Comment garder le moral quand tout transpire la frousse ? Comment croire en quoi que ce soit si tous nos choix sont dictés par le souci d’éviter le pire ? C’est vrai qu’on a bien du mal à aller de l’avant, vrai qu’on est un vieux peuple, ployant sous une vieille histoire, et que ça manque d’allant. D’allure, en somme. Mais il devient de plus en plus évident que certains ont intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Entretenir l’angoisse perpétuelle pour mieux nous vendre leurs anxiolytiques.
La peur n’évite pas le danger. Elle nous replie, nous recroqueville. Terrorisé on ne choisit plus, on réagit par conditionnement. Réflexes automatiques, parmi lesquels : pas de femme présidente ! Aubry serait probablement pas plus mauvaise qu’Hollande. Et même si elle l’était, rien que ça, faire aussi mal qu’un homme, ça aurait été un progrès. Au moins ça aurait eu de l’allure ! Une femme présidente en France, aussi impensable qu’un noir président des états-unis. Mais non, pas prévu dans nos formats standards. D’ailleurs ils sont déjà en train de nous expliquer que si les Français veulent Hollande, c’est parce qu’il est normal, le mec moyen normal. Retour à la norme, tout est bien dans le meilleur des mondes.
Je te l’accorde. J’ai pas été très courageuse sur Martine Aubry. Mais comme précisé, s’il n’y avait pas eu, comme des symboles, l’affaire Guerini et le congrès de Reims, je me serais probablement laissée porter par l’espérance.
J’ai bien aimé ton commentaire 😉
De toute façon, quand on entend aujourd’hui le père Hollande nous expliquer que les sondages n’ont aucun sens et qu’ils pourraient nous démobiliser, y a de quoi grincer des dents. Toutes les primaires ont été saturées de ces sondages qui nous apprenaient que les français n’étaient soi-disant pas prêts pour une femme présidente, et ça bien avant les votes réels. Pouah !
Pour un traumatisé du vote utile comme moi, ton billet est salutaire ! Tu ne décris que trop bien la dictature intellectuelle que les deux « grands » partis nous imposent.
J’ai justement raconté dans ce billet (dans la partie intitulée « Cheminement politique ») à quel point j’avais été choqué que le PS se contente de la multiplicité des candidatures comme unique cause de son échec, évitant toute remise en cause (même benefique). Voici ce que j’ecrivais :
J’ai trouvé ton article intéressant, même si, ce qui est assez désolant, c’est de ne pas entendre cette analyse assez complète dans un JT de 20h.
Et donc, sans doute à terme, une élection de plus pour laquelle nous devrons faire le choix du moins pire des candidats selon nos convictions, et non pas le meilleur.
Bises en passant
ooooooh coucou Sapiens !!
Comment vas tu ?
En ce qui me concerne, le premier tour, je voterais selon mes convictions et tant pis si le fn passe. A un moment donné, c’est aussi le jeu de la démocratie. Et puis, bon, les legislatives suivent, faut arrêter le délire, le fn n’aurait jamais une majorité, c’est « techniquement impossible » (pas assez d’élus connus)
Bon, apres le second tour c’est une autre affaire.
J’ai interviewé Bastien Francois au sujet de la 6e république. Là, c’est PASSIONNANT.
Il sera publié ici deux trois jours après 🙂
[…] Je cite : « La victoire, elle se fait au premier tour et donc j’appellerai, sans risque de pouvoir être contredit et sans volonté d’écraser je ne sais quel parti partenaire, j’appellerai à voter tous les électeurs, qui veulent gagner l’élection présidentielle, à le faire dès le premier tour. Parce que, c’est là que nous aurons l’avance la plus forte, si elle est là, c’est là que nous assurerons notre présence au second tour. Je n’oublie pas, et gardez-vous surtout de cette illusion, je n’oublie pas le 21 avril. » (cf mon billet ici) […]
[…] Je ne vais pas y aller par quatre chemins, même pas en rêve, je vote aux municipales pour votre parti. Et surtout ne me faites pas le coup de me faire la leçon « Nos concitoyens doivent faire le choix du candidat socialiste et radical puisque maintenant j’ai aussi cette investiture. La victoire, elle se fait au premier tour et donc j’appellerai, sans risque de pouvoir être contredit et sans volonté d’écraser je ne sais quel parti partenaire, j’appellerai à voter tous les électeurs, qui veulent gagner l’élection présidentielle, à le faire dès le premier tour. Parce que, c’est là que nous aurons l’avance la plus forte, si elle est là, c’est là que nous assurerons notre présence au second tour. Je n’oublie pas, et gardez-vous surtout de cette illusion, je n’oublie pas le 21 avril. » (discours de François Hollande en octobre 2011). […]