Meet Daniel Darc

27 décembre 2011 4 Par Catnatt

Un être enchanté : un point de contact lumineux entre le désir et le monde » (Paul Auster)

Daniel Darc n’a jamais aussi mal porté son nom. Il me semble qu’il est un être enchanté, un point de contact lumineux entre la foi, la musique et le monde. Certes amoché, le dos en vrac, les traces d’une vie, mais solaire, le visage apaisé, le regard rempli de lumière et un sourire d’enfant. Peut-on en dire autant d’autres du même âge ?

 

Il va bien falloir abandonner le mythe. « La taille de mon âme », son nouvel album se situe très exactement entre la littérature et la légende. Ce que Daniel Darc a mis de mots et ce que nous avons cherché de lui à travers toutes ces chansons. Ecoutons-nous vraiment ce qu’il dit ou nous laissons nous griser d’illusions ? La vie rock’n roll, le romantisme du XIXème, le punk, le spleen, la douceur de l’autodestruction ? L’icône destroy promise à la mort ? D le maudit qui n’en finit pas de chanter son oraison funèbre ? De Janis à Rimbaud ?

 

Il est en face de moi, il est calme, souriant, la confiance de celui qui aime et est aimé. Oui, un être enchanté.

 

– « Vous arrive-t-il encore d’être heureux ? »

Il a un sourire ironique. « Le bonheur… ».

Son silence.

– « Je crois que j’ai la réponse. »

 

J’ai dit au revoir, il m’a pris dans ses bras, je lui ai donné un coup de sac sans faire exprès, il m’a chambrée, nous avons ri. Je suis sortie et j’ai fumé une clope à la santé de tous les malades de la vie. La place de l’art. Se rend-on compte de l’impact de la propagation de l’art sur nos solitudes ? Autrefois, il était quasi impossible de lire, d’entendre d’autres émotions humaines que les siennes. Ou à peine. Ecouter Daniel Darc, c’est poser des mots sur la difficulté d’être au monde : Le temps, les sentiments, l’exil. J’aime l’entendre chanter et j’aime tout autant l’entendre parler. Laurent Marimbert a laissé tourner en permanence les magnétos ; a inséré ces moments volés dans l’album comme des petits bouts de tranches de vie : « Tu me dis s’il faut que je joue plus vite ou lentement ? ». Le rire espiègle de Daniel à la fin de « C’est moi le printemps ». Ses chuchotements. Quand il râle « Putain, merde mon cuir ! (Et tout doucement) Et il pleut, merde, ras le cul… ». L’autodérision sur sa prestation au youkoulélé : « Et dix ans de flamenco pour en arriver là… Si j’avais su… ». Sa voix qui fredonne sous l’air de « Raindrops keep falling on my head » « Toute la merde tombe sur moi ». L’humour, éternel compagnon de Daniel Darc.

 

« La taille de mon âme » est plein de vie. Au détour de chaque chanson, des détails. Composé au lendemain d’une rupture amoureuse, cet album porte tous les stigmates d’un Darc, la créature, le mutant. Mais il est temps de cesser de chercher Daniel. Il écrit tous les jours – comme un Romain Gary « Je ne peux pas ne pas écrire, c’est un besoin organique. » – et dans un sourire, il m’avoue : « Tu sais sur des cahiers Moleskine, comme tous les bobos ». Je plaide coupable, le carnet à la main : « Nature et Découvertes ».

 

Le rire si particulier de cet artiste, qui est une sorte de pendant masculin de Brigitte Bardot, tant l’élocution est enfantine parfois, toujours particulière. Son tempo unique. Marimbert et Darc sont rentrés en studio, les mains vides : « C’est la première fois que je ne distribue pas les rôles, moi aux paroles et la musique à un autre. Nous avons tout co-signé cette fois-ci. J’écrivais, Laurent complétait et vice-versa ». Jamais aucun texte écrit sur un moleskine n’a franchi la porte du studio. Tout est spontané. Ses sentiments, ses émotions, la tristesse de la fin d’un amour. Des paroles d’inconnus comme avec « La taille de mon âme », variation autour d’un « Si elle savait la taille de ma bite » d’un comptoir de café et la litanie de Brigitte Bardot dans « Le mépris ». Ou comme dans « Vers l’infini » où Daniel Darc avait en tête « As tears go by ». Des traces de Bach dans « Ana ». Il n’est jamais seul dans ses chansons, toujours escorté : ce sont « Les enfants du paradis » qui planent sur « C’est moi le printemps ».

 

Il m’a fait un cadeau ; en entendant mon prénom, il a tout de suite fredonné les paroles de « Nathalie » de Gilbert Becaud. Je déteste cette chanson ; il rigole : « J’adore cette chanson ! ». J’ai commis encore mes tableaux excel. Il a insisté pour les emporter. En quelque sorte quittes, bien que je l’écouterais encore bien volontiers sans la contrainte d’une interview. Sur mes classements maniaques, j’ai retenu quatre thématiques : Le sentiment d’impuissance et le mouvement de chute. Les femmes qui s’en vont et les amis qui disparaissent. J’aurais également pu rajouter la foi, cette espérance.

 

On n’en finit pas de tomber dans les textes de Daniel Darc. « C’est là où l’être humain est le plus intéressant, non ? La chute est partout autour de nous. C’est peut-être pour ça que j’aime la boxe ou les arts martiaux, cela t’apprend à chuter et à ne pas te faire mal. Chuter peut être un moyen de reprendre le dessus ». Il sait que c’est inévitable. Il amortit d’un mot, d’une virgule, d’un chant. Il tourne la fatalité, d’une pirouette, en dérision. « Peut-être un jour je vais arriver, je vais arriver à ne plus tomber » (Quelqu’un qui n’a pas besoin de moi).

 

On n’en finit pas de se sentir impuissant dans les textes de Daniel Darc. « 4 ou 5 fois je soupire, ça pourrait être pire » : La douceur vénéneuse de « Sous la lune ». Sa curiosité quand je lui dis que c’est un leitmotiv dans cet album. « Je ne chante pas mon impuissance. Je chante le sentiment de l’impuissance. Il y a une distance avec la réalité ». Je lui réponds : « Mais quand vous chantez la taille de mon âme, c’est bien une chanson sur l’incapacité à transmettre ce que l’on est vraiment ? Cela vous concerne, non ? ». Il approuve. Ne s’éternise pas. Pas une façon de botter en touche mais plutôt l’inutilité de certains discours. « Autrefois, j’étais jeune, j’avais plus de facilité, j’étais capable de parler de n’importe quoi, moins de préliminaires ». (Ana)

 

Il murmure plus qu’il ne parle : « C’est plus décisif à mon âge de parler. ». On trouvera plus facilement Daniel Darc dans ses silences à présent que dans ses phrases. La chute, l’impuissance et puis les amis qui meurent et les femmes qui s’en vont. « Avant les amis mourraient d’overdose, maintenant c’est du cancer. Mais ils continuent de partir ». Il est caustique. Et les femmes ? Il sourit. Daniel Darc est amoureux. « A l’époque où je suis rentré en studio, je sortais d’une relation qui a duré des années. Ca habite l’album, c’est certain. Mais j’ai rencontré à nouveau une femme ». Le sourire d’un type amoureux, c’est la meilleure réponse qui soit.

 

L’album est traversé par l’ironie « Je m’aventure à 10 mètres de chez moi, je saute de la fenêtre du rez-de-chaussée » et les drames « Fuite et fin, le premier des deux qui crève attend l’autre ». Et pour toutes ces collisions, une seule réponse : la foi ; s’en remettre à l’invulnérable. Puisqu’il est né « d’un ventre épais », d’une histoire sur la folie des hommes, entre condamnation à mort par contumace, camps, culpabilité d’être en vie, de ne pas avoir connu, culpabilité toujours. Puisque l’héroïne et l’alcool lui ont sauvé la vie, manière de négocier avec un monde totalement insupportable. Alors, Daniel Darc s’en remet à la clémence, la compassion et la bénédiction. Cela rythme « La taille de mon âme » avec les variations. La quête associée de la musique et du sens. La foi lui a appris la patience : « Le parcours initiatique religieux, comme les arts martiaux, prend du temps ».

 

Si l’on retrouve les thèmes chers à l’artiste, Laurent Marimbert, il me semble, l’a tiré vers la vie. Venant d’un univers plutôt variété, il a rendu celui de Darc plus accessible : les mélodies sont belles, les arrangements soignés, les ambiances différentes d’une chanson à l’autre. Ce n’est pas un album triste, loin s’en faut, c’est juste qu’il n’oublie pas que tout est dérisoire. « C’était bien mieux avant. Elle dit ça lentement. Moi, je sais que le temps n’attend personne, pourtant. C’est vrai, de temps en temps, je me dis « si seulement ». Elle se dit « moi aussi, je suppose que j’ai vieilli ». Enfants du paradis, du purgatoire aussi. Maigre consolation, personne n’en sortira d’ici vivant. » J’en pleurerais. Ce sont des chansons d’âmes solitaires. Le purgatoire, c’est ici et maintenant et non pas plus tard comme chez les catholiques. Cela n’existe d’ailleurs pas dans la religion protestante qu’il a embrassée.

 

Daniel Darc a défié le rationnel, les statistiques, les fortes probabilités. Il est encore là, comme un petit miracle. « J’te jure, je reçois des mails… Les mecs, c’est tout juste s’ils ne râlent pas que je sois encore vivant. Et je rapporterais probablement plus si j’étais décédé ». L’ironie de la situation. Sa bienveillance. Un sdf du quartier qui débarque, offre une rose – je n’ai pas su si c’était pour moi ou pour Darc – et nous explique le plus tranquillement du monde qu’il a trouvé une piaule mais que la contrepartie est de se faire enculer par son hôte. Le mec qui se marre. Daniel Darc qui répète pour être sûr d’avoir bien compris. Parenthèse vaguement surréaliste. Moi qui hésite entre l’hallucination et le rire. L’humour noir qui fait rage parmi les délaissés du monde. Et Darc qui se situe juste entre les deux, entre le sdf et moi, entre l’enfer et le paradis, entre les morts et les vivants ; un point de contact lumineux, dans une zone autre, celle de ceux que tout portait à mourir et qui continuent de fouler le sol malgré tout.

 

J’ai trop écouté Daniel Darc, j’ai oublié de prendre des notes ; j’ai oublié l’interview. C’est un compliment. Lui qui en a tant dit, chanson après chanson, est d’une pudeur paradoxale. Je n’ai rien emporté, ou si peu, un regard clair, un sourire enfantin, quelques impressions fugaces, quelque chose de fantomatique, une légèreté fragile. Darc reste une énigme, il ne me reste que des points de suspension. Le combat toujours perdu de l’humanité, l’entière mise à mots d’un être est impossible :

«Si seulement tu savais mes nuits… Rien. Si seulement tu savais mes rêves… Rien. Si seulement tu savais mes rires… Rien. Si seulement tu savais mes joies… Rien. Si seulement tu savais la taille de mon âme…»

 

Si seulement je savais…

 

 

 

>> Ecouter l’intégralité de l’album sur Spotify, c’est ici
>> Crédit Photo Michel Monteils (Blog Emeute visuelle)