C’était la presse
« La une cible les tripes. C’est à l’intérieur qu’on s’adresse aux cerveaux » Christophe Barbier
Ce que l’on considérait comme des « accidents industriels » est devenu une manie dans la presse française, celle-là même qui se bouchait le nez face à certains journaux anglo-saxons trash et vulgaires. Hier, l’Express et Libération, aujourd’hui les Inrocks.
La « Une » est devenu un objet en soi. Pas comme du temps légendaire de Libération où on trouvait ça beau. Non, la « Une » doit déraper ou être un marronnier ; voyante ou air connu, en dehors de ça, point de salut. Certaines d’entre elles me débectent mais là où on touche le fond, c’est quand elles ne correspondent pas au contenu. Démonstration faite avec l’exercice de haute voltige de l’Express et achevée avec le numéro des Inrocks évoquant le décès – tout court et intellectuel – de Depardieu : j’ai lu les articles qui le concernaient à l’intérieur et le tout est modéré ; on se situe dans le tendre reproche si j’ose dire.
Je trouve ça pire que tout. J’aurais préféré du sang et de la fureur. Quitte à être extrêmement violent sur la couverture, au moins être raccord dans les pages. A ce tarif-là, je finis par avoir plus de respect pour Closer qui, au moins, ne ment pas sur la marchandise. Ce qui se voit à l’extérieur se voit à l’intérieur. C’est dégueulasse mais au moins ça s’assume.
Mentir en devanture, c’est de la propagande qui s’ignore et, à mon sens, ça se situe à l’extrême opposée du journalisme. De la propagande qui fatigue, use la crédibilité et décevra fatalement tout le monde : ceux qui ont acheté le journal pour se pourlécher de vacheries et ceux qui auraient aimé lire le contenu intéressant – parce que oui, ce dossier des Inrocks est intéressant – mais qui ne l’ont pas acheté à cause de la Une. Quid du long terme dans tout ça ? (Pardon, j’ai dit un gros mot).
Quand j’étais ado, j’étais romantique et je croyais que certains journaux avaient une âme. Mais las, le diable a inventé investi le marketing. Si le mensonge s’affiche en première ligne, où est passé le devoir d' »information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste » ? En arrière-plan. Alors vous me direz, les gens n’ont qu’à pas acheter, voire même nous devons nous résoudre à ça car, pour exister, la provoc règne, on se tire la bourre, vous comprenez ? Sauf que si je lis bien la charte d’éthique professionnelle des journalistes, il est de la responsabilité de ce métier de respecter ce devoir. Ce n’est pas au citoyen de faire gaffe (même si dans l’absolu, on devrait pouvoir compter sur lui), c’est à ceux qui exercent cette belle profession de se tenir.
On se prend à rêver d’un journal en pièces détachées, la pub et la une d’une part et de l’autre les papiers…
Alors quitte à piétiner tout ça – n’est-ce pas Madame Pulvar – un peu de « couilles » ne ferait pas de mal. Soyez cohérents. Vous voulez faire mal, blesser, provoquer, écoeurer ? Faites-le jusqu’au bout. Ne vous réfugiez pas derrière un très faux-cul « Ha mais faut lire le journal, ça n’a rien à voir avec l’intérieur » – n’est-ce pas Monsieur Barbier ? (D’ailleurs, juste un aparté, Audrey Pulvar, ça ne vous gêne pas d’être descendue au niveau de l’Express ? Sans déconner ?).
Oubliez les cerveaux, focalisez-vous sur les tripes que diable ! Les tripes, toujours les tripes et encore les tripes jusqu’à la grande « dégueulade » générale, jusqu’à « la grande bouffe » et son suicide collectif par excès de provocations, de logique marketing mécanique et jusqu’au-boutiste, d’agressions faisant appel à ce qu’il y a de plus bas, affichées en une et désertées par la réflexion.**
Un autre journalisme est-il possible se demandait XXI ? Et si c’était sa mort qui était possible ? Parle-t-on encore de journalisme quand on nage en plein sensationnalisme ? Est-ce que le même mot peut recouvrir deux façons de vivre ce métier si différentes, deux réalités si opposées ? La forme et le fond ?
** Adaptation d’un paragraphe du papier de Serge Kaganski. Propos exacts : « Depardieu a joué dans « La dernière femme » et « Rêve de singe » de Marco Ferreri. Mais c’est peut-être un autre film célèbre de l’iconoclaste italien qui dit une vérité sur son présent étrange : « La grande bouffe » et son suicide collectif par excès de nourriture, d’hédonisme mécanique et jusqu’au boutiste, d’épicurisme déserté par la spiritualité ».