L’avenir d’une ado : doutes et débuts de réponse

16 avril 2013 17 Par Catnatt

 

St. Paul Jewish Community Center Collection

 

Hier, j’ai eu rendez-vous avec le prof principale de ma fille. Charlotte est en 4ème. On le sait, cette classe est compliquée. C’est une phase délicate entre explosion de l’adolescence, un enfant qui ne l’est plus tout à fait, qui se tourne complètement vers le monde extérieur et un enseignement qui se corse. Autant Baptiste a toujours virevolté entre toutes les matières avec une facilité déconcertante autant Charlotte a pris en grippe les maths très vite. Cette gamine cartonne dans tout ce qui est matières culturelles, le reste, ça ne l’intéresse pas, que voulez-vous que je vous dise et moi, ça ne m’intéresse pas que mes enfants soient les premiers de la classe. Mon objectif premier est que mes enfants soient autonomes, aiment aller à l’école, apprendre, s’insèrent facilement en société et pour l’instant, c’est réussi.

 

Toujours est-il qu’en 4ème, les choses se compliquent : entre attentisme et tête ailleurs, il est difficile d’avoir une prise sur Charlotte. Ses résultats ne sont absolument pas catastrophiques, ils ne sont pas mirobolants non plus. On est en plein service minimum. Rapidement, je me suis aperçue que les études allaient devenir la pomme de la discorde entre elle et moi ; j’allais entamer un bras de fer avec ma fille. Je n’ai jamais fliqué mes gosses, ça m’intéresse beaucoup plus de les responsabiliser. Pour dire, il n’y a jamais eu de contrôle parental sur les ordinateurs, j’ai plutôt passé des heures à faire de la pédagogie et à leur expliquer que les choix qu’ils faisaient sur internet n’auraient de conséquences que sur eux.  Donc que faire ?

 

J’ai décidé en janvier que l’école n’allait pas devenir le lieu du pourrissement des relations avec ma fille. Précision : je n’ai absolument pas peur d’être en conflit ouvert avec elle. Je trouve ça même très sain qu’elle me « tape dessus », psychologiquement s’entend, plutôt qu’elle ne tape sur la société plus tard. Je suis là pour ça : qu’elle teste ses capacités de révolte, d’usure, de refus, de silence, de colère etc sur moi, ça me va très bien. C’est mon rôle. Par contre, je me méfie beaucoup plus des conflits larvés : ceux qui s’installent insidieusement, qui dépassent leur champ d’action et gangrènent tout sur leur passage.

 

Surtout, Charlotte n’est pas une de ces ados qui ne savent pas quoi faire d’elles, elle passe un temps monstrueux à prendre des photos, à les retoucher, à dessiner, à faire des vidéos, les monter, créer des gifs animés et depuis bientôt deux ans, le graphisme flotte dans l’air. On en parle, elle y revient, s’en éloigne mais c’est là.

 

On discutait avec le prof principal et je lui expliquais tout ça. Je lui précisais même que j’étais mère célibataire et qu’il y avait des limites à tous les rôles que je pouvais endosser. Je dois choisir. J’ai vraiment ce sentiment : l’entonnoir se resserre, le champ des possibilités se réduit, et ce que l’on peut se passer à tour de rôle quand on est deux parents, je ne l’ai pas. Je ne suis pas surhumaine. Plus Charlotte grandit et multiplie la diversité de ses comportements, moins c’est fluide de mon côté. Je ne saurais trop comment l’expliquer, c’est très instinctif, mais ce sentiment est là. Il est hors de question que je sois une maman copine mais il est tout aussi inenvisageable d’être un général ivre d’autorité. Mais bref, soudain, ça était très clair dans ma tête, c’est sorti tout seul, j’ai regardé le prof principal et je lui ai dit : « Très bien, et si Charlotte passait un bac pro en graphisme ? Ca existe ? ». Précision, elle est admise en troisième, elle n’a pas de difficultés majeures. Il a été étonné mais pas fermé à cette idée. Il m’a parlé direct d’un lycée qui le faisait puis a fait machine arrière comme s’il avait laissé échappé quelque chose. Charlotte n’a apparemment pas le profil d’une ado à partir dans un bac pro, cela l’a donc surpris.

 

Il n’a pas été le seul, je me suis surprise toute seule : à chaque fois que nous en avons parlé avec Charlotte, il était évident qu’elle allait faire un bac général. Mais d’un coup, j’ai trouvé ça complètement idiot comme raisonnement. Pourquoi absolument le bac général ? Si Charlotte sait à priori ce qu’elle veut faire, pourquoi ne pas lui faire gagner du temps ? J’ai une image comme ça un peu catastrophique des bacs pros. Mais je soupçonne que mon état d’esprit est obsolète. Le bac général et après ? On en voit tous les jours des armadas de gens avec des mentions à cet examen, sur-diplômés qui se retrouvent en train de ramer au chômage. Je crois que l’époque est surtout aux gens débrouillards, autonomes, adaptables et réactifs. Je crois que l’époque est aux parcours particuliers, rien n’est garanti. Surtout, je veux que ma fille soit heureuse dans le métier qu’elle a choisi : se lever le matin content d’aller exercer une profession qu’on aime, ça n’a pas de prix.

 

Je suis rentrée et j’en ai parlé à Charlotte : au départ, elle a été décontenancée, elle avait comme moi ce mépris idiot pour les bacs professionnels. On a regardé ensemble et j’ai même envoyé un mail à l’école des Gobelins. Ma fille a eu plein de questions, de doutes. Rien n’est décidé évidemment mais tout ce que je sais, c’est qu’après deux heures de discussion à bâtons rompus dont je vous ferais grâce, elle est venue me voir en me disant avec un grand sourire : « écoute, merci, c’est beaucoup plus clair dans ma tête, j’ai l’impression d’entrevoir une direction possible, une direction à prendre ». Et là, j’ai réalisé à quel point ça devait être terrifiant pour des gosses de cet âge. La 4ème, c’est le compte à rebours qui commence, cette sensation de fin, les amis qu’on a depuis la primaire que l’on va perdre, ces foutues études qu’il faut choisir, cette terreur de ne pas être pris dans un bon lycée, cette pression qu’on leur demande déjà à cet âge d’assumer. Il y a comme un arrière goût de c’est trop tard. Je trouve ça horrible et je suis contente mais alors contente d’avoir décidé de ne pas entamer le bras de fer que j’entrevoyais pendant les quatre prochaines années mais plutôt d’avoir cherché une solution autre, du moins de tenter de proposer autre chose, une autre voie, de l’avoir fait sortir l’espace d’un instant de cette autoroute à pleine vitesse dans lequel elle est lancée sans qu’elle ait eu le temps de réaliser qu’elle y était entrée. Le temps d’une discussion ou plus, lui avoir proposé un chemin de traverse, une échappée belle…

 

Je l’ai sentie rassurée. Encore une fois, rien n’est décidé mais si après avoir fait des journées portes ouvertes dans différents établissements, si l’année prochaine elle souhaite toujours devenir graphiste, si après avoir fait son stage (que du coup on va choisir en fonction) cette envie persiste, je n’aurais plus aucune hésitation à inscrire Charlotte en bac professionnel de graphisme. Ce seront trois années de gagnées et ça lui en fera d’autant pour une éventuelle spécialisation ou une marche arrière. Si elle veut rétropédaler, on sera toujours à temps de lui faire passer un bac général en candidat libre. Nous vivons à une époque où tout change, évolue, pourquoi les études ne suivraient pas ?

 

J’ai vu du soulagement dans les yeux de ma fille, hier soir. Ca m’a fait mal au coeur parce que je n’avais pas soupçonné l’état dans lequel tous ces foutus choix à faire pouvaient la mettre. On s’acharne à balancer des discours appris par coeur depuis quelques générations : travaille sinon tu vas finir caissier(e), si tu fais des études, tu auras un boulot, choisis un métier qui rapporte de l’argent etc. Sauf que ces discours sont des fakes, ça ne marche plus obligatoirement comme ça. Le monde a changé et ils le savent. On les prend quelque part pour des idiots : tu auras beau faire un parcours exemplaire, rien n’est garanti. Alors autant prendre le temps de les écouter vraiment et pour ceux qui savent déjà ce qu’ils veulent faire, leur offrir l’opportunité d’aller s’éclater à apprendre ce qu’ils aiment vraiment.

 

Il y a aussi ce vertige qui me saisit quand je réalise la responsabilité qui m’incombe : comment être sûr que l’on pousse son enfant sur le bon chemin ? Et si je me plantais ? Se rend-on vraiment compte de ce que c’est d’influer sur le début d’une vie ? L’angoisse m’étreint, il y a aussi chez moi un arrière-goût de c’est trop tard alors que ce n’est pas de ma vie dont il s’agit. C’est complètement dingue de faire des enfants, je ne m’en remets jamais vraiment. La seule solution que j’entrevois, c’est de faire ce que je fais : écouter encore plus si c’est possible ma fille, lire entre les lignes et ne pas la coincer dans un schéma de pensée qui n’est que le mien. Si seulement les enfants savaient qu’être parent, ce n’est qu’une improvisation au long cours… Qu’on ne sait pas vraiment ce qu’on fabrique la plupart du temps… C’est la plus grande leçon d’humilité qui existe si l’on y prête vraiment attention.

 

Et pour finir, si certains d’entre vous qui me lisent, sont graphistes, j’aimerais beaucoup qu’ils échangent avec Charlotte pour lui expliquer vraiment ce qu’ils font. Merci d’avance 🙂