Qui me dira « tout ira bien » ?
Il y a quelques années, j’avais écrit ce texte sur mon père chez Mr Olivier (Chanson pour danser éternellement avec mon père), prémisse de ce que je savais inéluctable : mon père vieillit.
Ca n’a l’air de rien comme ça mais c’est tout de même très étrange de voir ce « Dieu indestructible » pour moi redevenir humain, trop humain. Il m’appelle quatre à cinq fois par semaine, la plupart du temps pour des questions à la con mais je sens bien que ce qui se joue vraiment n’est pas là. Les rôles se sont inversés. C’est moi qui le rassure, c’est moi qui le console, c’est moi qui lui murmure « Tout ira bien Papa ».
Qui me dira « tout ira bien » ?
Mon père n’a plus la gniaque, je ne sais comment exprimer autrement cette intuition. Ca ne veut pas dire qu’il ne va pas bien, ça signifie simplement que je le sens légèrement décrocher de la vie. Et dire que je pensais qu’il était le genre de personnes à enterrer tout le monde autour de lui…
Oh Papa est loin d’être un saint. Il y a des tas de choses dont je ne parle pas à son sujet. Des vieux comptes à régler, en suspens, entre lui et moi. Des choses dont j’ai cessé d’espérer qu’on puisse les mettre sur la table sereinement sans créer de séisme familial. Et cette tempête, je n’en ai plus envie. Car si mon père a été un parent défaillant par moments, je lui reconnais une chose, c’est d’être devenu un formidable grand-père pour les enfants : un référent masculin particulièrement casse-couilles, à qui je pardonne ce que je ne pardonnerais à personne d’autre mais toujours à leurs côtés quoi qu’ils fassent. Mes enfants n’ont jamais été punis par Papa. Il leur trouve toutes sortes d’excuses touchantes. Et je les regarde vivre tous les trois, entre matchs de rugby, premières leçons de golf et réflexions sur la présence envahissante du « zinzin » (l’ordi).
Pendant ce temps-là, on me, je me positionne comme chef de famille. Je suis devenue – un peu grisée au début, écrasée par la suite – le pivot qui fait tourner cette famille « italienne », sanguine et passionnelle à peu près rond. En tout cas, le peu qu’il en reste…
Et malgré tout ce qu’il a pu faire et surtout pas fait, il est hors de question que mon père ressente la moindre solitude pendant sa vieillesse. Tant pis, s’il m’appelle au bureau n’importe quand, tant pis s’il me traite de gauchiste enragée et d’aveugle, tant pis s’il m’ignore quand on discute en famille d’économie. Je reste l’éternelle adolescente rebelle à ses yeux. Papa me fête mon anniversaire mais ne compte plus les années depuis longtemps : sa surprise quand je lui dis, au détour d’une conversation, que j’ai 42 ans. Et oui…
Je veux que mon père sache que je suis près de lui comme il a été à mes côtés (et reste encore, à sa façon, maladroite et matérielle). A 82 ans, il reste encore en colère après sa mère qui ne lui a jamais appris à exprimer ses émotions ou manifester son affection. Il en rêve encore. Il en cauchemarde encore. C’est fou ! On ne se remet jamais vraiment de son enfance, hein…
Mon père est un homme bourré de défauts, qui s’est planté au sujet de sa famille un paxon de fois. Il est comme la plupart de ces gens qui ont vécu la guerre, envoyé chez les jésuites, à qui on a expliqué que s’ils ramenaient un salaire à la maison, c’était suffisant. C’est un mec de devoir. Je crois qu’il m’a transmis ça. Et c’est précisément pour ça, même si ça me bouffe, que je lui accorderai attention et affection tant qu’il en manifestera le besoin.
Je me pose des questions que je ne me posais pas avant : que faire s’il se retrouve trop diminué et obligé d’aller en maison ? Le laisser à Béziers près de ses amis ? Le rapprocher de nous ? On est loin d’en être là mais il n’a plus la gniaque… Je le sens fragilisé. Il se fait hospitaliser pour quatre jours (de simples examens) et je suis loin. Trop loin…
Je ne veux pas que mon père se sente seul. Je refuse ça parce que la chose qui me terrorise le plus, et avec laquelle je suis obligée de négocier, c’est que mon père ne sera plus là un jour. La perspective d’être « orpheline » me tue.
Qui me dira « Tout ira bien ? »…
Et si la dernière chose que je peux faire pour lui, c’est de l’entendre rouspéter après Hollande et ces socialos-communistes et d’autres choses nettement plus borderline, ou me répéter pour la 150ème fois la même anecdote ou subir ses petits arrangements avec la vie, je le ferai. Papa est insupportable mais je l’aime.
Sa part de lui en moi…
On a tous auprès de soi un référent(e), plus âgé(e) dont on sait que si l’on se retourne juste avant d’avancer, juste avant de choisir, juste avant de nous élancer, l’on sait que cet être humain sera derrière nous, souriant et réconfortant, râlant parfois, mais oui, derrière nous, quoi qu’il arrive et dont on entend la voix nous rassurer, même s’il doute en son for intérieur, mais nous rassure quand même, oui, quoi qu’il arrive : « tout ira bien ». Une personne dont on sait que même si elle n’est pas d’accord, elle sera là pour nous récupérer ; l’inconditionnalité, cette notion fondamentale qu’une famille est censée porter malgré les clashs, malgré les mesquineries, malgré la vie.
C’est ce que je tente d’offrir à mon père : une inconditionnalité… Je veux qu’il sache, qu’il soit certain, que quoi qu’il arrive et jusqu’au bout, s’il se retourne, je serai là. Quoi qu’il m’en coûte.
Voir vieillir ses parents dans une société qui fait semblant d’ignorer que la mort existe est extrêmement compliqué. On nous vend des séniors performants jour après jour mais la vérité, c’est que le couperet tombe fatalement. On les regarde un beau matin, on sent qu’ils ont perdu leur ressort : cette pulsion de vie qui offre une éternité illusoire. On rentre dans le compte à rebours.
Il faut savoir le voir et en profiter. Savourer le fou-rire partagé, la confidence d’un ancien enfant devenu un vieux monsieur, les souvenirs évoqués, l’histoire de Marius et l’orphelinat de Jeanne, les regrets et les remords, le sous-marin de Pascal et le bateau de Guy : la vie d’un homme…
Qui me dira « tout ira bien » ?
Pas envie de m’identifier mais c’est via un tweet (on se suit donc bien que l’on ne se connaisse pas) que je lis cet article et qu’il me touche, j’aurais voulu l’écrire, j’aurais pu l’écrire, si j’écrivais online. Je suis dans ce même moment de vie et là, pile aujourd’hui, je ne le vivais pas très bien, après une courte conversation téléphonique avec mon père. De lire que je ne suis pas seule avec ces sentiments est un petit réconfort, merci pour ce partage assez intime et terriblement authentique.
Même si un blog perso reste un exercice égotique, il n’en reste pas moins que parfois, comme un petit miracle, on partage 🙂
Merci pour votre commentaire 🙂
Ton texte est magnifique et il me parle tellement que je sais pas en dire plus…
Merci.
Le billet qu’on lit, qu’on relit et qu’on a envie de partager.
Merci
Estelle et Bembelly
merci d’avoir laissé un petit mot 😉
[…] texte sincère et poignant, à lire chez Catherine : Qui me dira "tout ira bien?". Oui, Heaven Can Wait, on a le […]
On s’interrogeait sur le « devenir adulte »… c’est sans doute, aussi, devenir celle qui soutient, qui affirme, qui rassure… « Tout ira bien »…
Isa j’aime tellement nos interrogations ma chérie… Les réponses finalement importent peu, c’est le chemin qui compte. Ensemble 🙂
Nathalie, c’est un témoignage bouleversant, magnifique, et oui dans notre famille, ceux sont des personnes de caractère mais tellement attachantes, ce que je ressens actuellement tu l’as écrit et c’est vrai que malgré leurs défauts ils restent à vie nos parents et on essaye de tout leur pardonner même si parfois c’est difficile….
bravo tu as un talent fou as tu déjà pensé à écrire un livre ?
bises.
ta cousine Françoise
Merci Françoise <3
Oui, le bouquin… Je suis sur le deuxième après avoir fait un four auprès des maisons d'éditions avec le premier , mouarf !
Merci pour ta présence légère mais quand même et tes encouragements réguliers 🙂
Quel beau post … émouvant et très bien écrit …
fichtre. c’est émouvant, universel et précis. bravo. Exactement la trajectoire que j’espère poursuivre avec mes parents (même âge), et plus tard, mes enfants. petite larme.
j’aime !!
Voici ton plus beau texte depuis celui que tu as écrit pour ton fils (rester toujours à neuf ans). Touchant et vécu, tu partages cette mémoire collective qui fait du bien à nos vies.
Tout ira bien.
J’ai perdu mon père au début de cette année, il avait le même âge, il n’était pas un dieu indestructible, il ne se serait jamais voulu ainsi, il ne cherchait pas à se rassurer, il cherchait en permanence à NOUS rassurer, je n’avais rien à lui reprocher, il n’a jamais été défaillant, il a seulement fait comme il a pu, c’était un ouvrier généreux (trop), rien d’un aigre petit-bourgeois, il est mort après 20 ans de Parkinson invalidante, sans doute l’héritage de son travail lié à l’aluminium, sans trop pouvoir profiter des petits bonheurs de la fin d’une vie, juste à subir les affres de la maladie. Et pourtant…
Je comprend et je partage le sentiment universel de ce que devrait être l’inconditionnalité de l’amour filial au delà des défauts souvent finalement pas si graves. Ce sont ces émotions profondément humaines qui devraient nous permettre de relativiser nos petites exigences illusoires et de retrouver notre place dans un cycle vital qui se moque bien de nos crises d’adolescence égocentriques souvent trop longtemps prolongées.
t’es chiante,
si je te dis ce que je pense vraiment de ce texte tu vas prendre la testasse puissance 20,
alors je me retiens, et j’aime pas ça ^^_
et je ne te dis pas merci parce que j’aimerais pouvoir dire mieux
on se sent à poil quand on lit ça, et te lire fait du vent dans les poils, et puis ça coule sur les jours et ça fait tellement de bien qu’on n’ose pas s’essuyer les joues de peur que ce qu’on ressent devienne moins intense
Je reste sans voix, les larmes aux yeux, le coeur serré. Je l’aime tant mon Dieu indestructible. MERCI Nathalie pour ce bijou.
@Ava
@Seb
@Arbobo
Ha les potes ! Merci infiniment 🙂
@Juan, ça m’a touchée ton retour 🙂
@Vincent
C’est toujours étrange de voir quelqu’un, non pas te suivre, mais suivre tes textes. Mais c’est extrêmement gratifiant, merci beaucoup.
@Julio
@Frederique
Merci d’avoir pris le temps de lire et d’avoir déposé un commentaire. C’est devenu rare et précieux.
[…] Mon premier réflexe ? Appeler Virginie. Virginie sait. Virginie est la personne qui me dit que tout ira bien. C’est fondamental pour moi. Ça contribue à mon […]