Le bon tempo (Mouth so big for a word so small’)
Je cherche ma place sur l’échiquier de l’opinion publique. J’ai tendance ces derniers temps à adopter une stratégie d’évitement de l’info, j’apprends les évènements 24 à 48 heures plus tard, les inévitables, pour le reste tout m’échappe. Je me sens lâche et à l’abri. Pourtant, je souhaite rester vigilante parce que je sens, perception paranoïaque ?, que ça glisse de partout.
Je n’ai pas trop cherché à répondre aux critiques sur le texte du doute même si je les comprends. Je n’ai jamais été autant inspirée que de publier ça en plein déménagement, j’étais détachée. Pour être sincère, ce qui m’a le plus fait marrer c’est le fameux « Bien sûr, moi aussi il m’arrive de douter, mais je me tais, je vais pas raconter ça sur Internet. » On n’a jamais autant entendu parler de « la parole libère », on est quasiment à l’ère du tout psychologique, mais faut croire que ça marche à deux vitesses : les bons sujets et les mauvais sujets. C’est intéressant, n’est-ce pas ? J’ai eu d’autres échanges qui stipulaient la même chose : cette fameuse pulsion que nous ressentons, vraisemblablement, tous, mais dont il ne faut absolument pas parler. Et moi, je crois, je crois fondamentalement que ce sont ces fameuses pulsions dont il faut se méfier qui conduisent tout droit à un système dangereux. Ce dont on ne parle pas nous dévore. Je me demande si ce n’est pas ça, chacun dans son coin en train de se débattre avec ses principes et ses émotions qui fait qu’un jour on se réveille dans un état totalitaire ; les prémices, « l’offrande religieuse prélevée sur les premiers fruits de la récolte. »
Pourtant j’ai entendu les critiques et depuis je cherche une place qui ferait que je ne suis plus poussée à la pensée courte tout en restant informée. On n’a jamais été autant au courant, jamais aussi émotionnels. Je fais référence à l’article de Society, magazine que je n’aime pas beaucoup, sur le populisme où je ne sais plus qui explique que cette phase d’entertainment politique soutient la pensée courte des populistes. Il est devenu compliqué de rentrer dans la nuance et le monde est terriblement compliqué. Il faudrait un agrégateur d’articles de construction de pensée, d’analyse. Un outil pas pute à clics qui proposerait une information saine. Je ne lirai que ça pour me faire du bien, pour m’élever.
En attendant je fuis les morts.
Qu’est-ce qui s’est passé pour que cette démocratisation de l’accès à l’info, cette idée, cet outil absolument formidable, aboutisse à une opinion publique majoritairement émotionnelle ? Devienne une forme de pollution ? La terre crève de nos contaminations et nous avons trouvé le moyen de nous empoisonner l’esprit. L’humanité me surprendra toujours. L’Europe pue le populisme dans sa définition négative, Trump pourrait bien passer, qu’est-ce qui va se passer ? Ce n’est pas seulement l’écologie du monde qui devrait nous préoccuper, mais bel et bien une écologie de l’esprit. Nous sommes à un tel stade de pollution… Et ne tirez par sur le messager, les médias font ce qu’ils peuvent entre survie économique et éthique. C’est nous qui sommes responsables. Je suis responsable.
J’ai peur.
Alors, reculer.
Trouver le bon tempo.
Chercher l’endroit minuscule, il existe, où l’on, où je pourrais me forger une opinion s’approchant du rationnel. Ni surconnectée ni déconnectée, ni tête dans le guidon, ni planquée. Trier les sources d’informations, éviter les faits divers, retomber dans ses travers, évidemment, redresser la tête, tenter d’avoir un peu d’ambition pour soi, pour sa façon d’envisager le monde. De l’exigence. On devrait se tenir un peu plus, ce n’est pas parce qu’on est tout seul devant son ordinateur que l’on est obligé de céder aux sirènes de la facilité. Sous prétexte que personne ne nous voit. C’est ce moment-là qui est intéressant : que lisons-nous quand nous sommes seuls ? Que pensons-nous lorsque nous sommes seuls ? Que regardons-nous quand nous sommes seuls ? Pas la façade des réseaux sociaux, celle où nous sommes évidemment performants, intelligents, où l’on se tient ; Pour certains. Faisons un pas de côté et observons-nous.
L’économie de l’attention va nous conduire tout droit dans le ravin, alors comme nous trions nos déchets comme nous pouvons, trions nos décharges intellectuelles. Enfin, essayons…
À lire « Tristan Harris : « Des millions d’heures sont juste volées à la vie des gens » (via @JSZanchi)
Également « Les médias dans l’ère « de la politique post-vérité «
« Everybody claims to know it all, Mouth so big for a word so small
Didn’t we stop to think about the big picture ?
How insignificant we are… »
Écrire soigne et exorcise.
Coucher ses questionnements et ses doutes est déjà une forme de réponse qui parfois, est suffisante et qui dans tous les cas, décharge et apaise.
Mais il faut écrire et le vivre pour le savoir !
Pour les infos je suis comme toi. Je les évite. Je les fuis. Les mauvaises nouvelles m’atteindront toujours assez tôt, malheureusement. Les images auxquelles je ne parviens pas à échapper me torturent trop longtemps après : pourquoi voudrais-je m’y exposer volontairement ??
On sait ce qui se passe. Et on sait aussi qu’il se passe des milliers d’autres choses dans le monde, dont des choses très belles. Les « infos » ne relayent vraiment que ce que notre monde a produit de pire. Et pour ma part je refuse de subir cette orientation mortifère.
J’ai fait il y a longtemps le choix de la vie, des belles choses et du positif. Et je crois que toi aussi 🙂
Bravo pour ce texte intelligent et sensible.
Bisous !
Oui il faut trouver le bon compromis entre la recherche du positif et une lucidité éclairée. Pas si simple 😉
Merci pour ton commentaire Isa <3
Bonjour Nathalie,
J’ai lu avec plaisir ton billet et celui du doute aussi (avec un peu de retard semble-t-il)
Hélas je suis très majoritairement d’accord avec ton analyse : dramatisation de l’info, polémisation, simplification…
Oui, nous, lecteurs y sommes pour beaucoup, comme je l’ai écrit dans mon billet « Désinformation et rumeur : nous sommes notre pire ennemi ! ». C’est une excellente question à se poser en effet, que faisons-nous quand nous sommes seuls ? Cela me rappelle la question de la morale kantienne: que faisons-nous quand il n’y a pas de risque de sanction ? Si c’est le gendarme qui nous motive à agir bien, alors c’est tout sauf un comportement moral.
Mais, il faut aussi prendre en compte nos besoins pluriels cf un autre billet « il faut répondre aux besoins pluriels des lecteurs ». Ni le divertissement ni le fait divers ne sont sales, de même que « la bonne culture n’existe pas ». Tout est question de proportion, de mesure, d’équilibre. Nous avons besoin de social, de plaisir, de pratique et aussi, de sens, tous autant que nous sommes, mais à des degrés et avec des modalités différents.
Parfois c’est notre fainéantise intellectuelle, notre éducation réconfortante ou notre vanité aussi qui nous font prendre des raccourcis idiots (je me suis fait tout seul, quand on veut, on peut etc.)
Parfois c’est simplement le manque de clés de compréhension, de décryptage : il faut se garder de mépriser l’ignorance. C’est l’arrogance, le demi-sot qui croît savoir et ne sait rien qu’on peut railler. Sans oublier de s’inclure le plus souvent dans le lot ^^
Chercher un lieu d’information totalement rationnel est à mon avis une erreur. ça, la machine le fait très bien, et serait le pire des système : atroce dictateur froid. Mais il faut tout autant redouter en effet la « contagion émotionnelle » de Jung. Equilibre, tâtonnements, encore une fois, avec risque d’erreur certes, mais on appelle cela l’humanité. ^^
Il existe des outils pour mieux s’informer : je ne l’ai jamais été aussi bien qu’aujourd’hui (listes Twitter, agrégateurs de flux RSS, recherche par mots clés…). Et surtout, comme tu le dis : éducation, instruction, culture gé pour développer l’esprit critique. On n’a jamais eu autant besoin de lire des livres intemporels pour comprendre notre temps.
Je crois toutefois que les médias ne sont pas exempts de responsabilité non plus, à tomber dans la facilité ou l’affolement. Mais plus que tout, le facteur macro-explicateur reste le libéralisme dérégulé qui a des effets en chaîne sur tellement de choses, à commencer par notre individualisme cf mon billet « Comment l’hyper-communication accentue la division sociale »
Merci pour ton billet qui fait cogiter
A très bientôt
Cyrille
Merci d’avoir laissé un commentaire Cyrille (j’espère que tu vas bien).
J’aime beaucoup ça : « Mais, il faut aussi prendre en compte nos besoins pluriels cf un autre billet « il faut répondre aux besoins pluriels des lecteurs ». Ni le divertissement ni le fait divers ne sont sales, de même que « la bonne culture n’existe pas ». Tout est question de proportion, de mesure, d’équilibre. Nous avons besoin de social, de plaisir, de pratique et aussi, de sens, tous autant que nous sommes, mais à des degrés et avec des modalités différents. »
Ça suppose de réfléchir à ce qu’on fait. On va pas se raconter d’histoires, nous sommes loin d’être une majorité à réfléchir vraiment. Du coup comment fait-on pour contrecarrer cette espèce de glissement que je, tu perçois.
Quant à « Je crois toutefois que les médias ne sont pas exempts de responsabilité non plus, à tomber dans la facilité ou l’affolement. Mais plus que tout, le facteur macro-explicateur reste le libéralisme dérégulé qui a des effets en chaîne sur tellement de choses, à commencer par notre individualisme cf mon billet « Comment l’hyper-communication accentue la division sociale » » Tu as probablement raison, c’est surement la lame de fond en fait.
J’irai lire tes articles ce week-end
Des bises 🙂
Je vais très bien merci Nathalie, et toi, ce déménagement, cette nouvelle vie ?
« Ça suppose de réfléchir à ce qu’on fait. On va pas se raconter d’histoires, nous sommes loin d’être une majorité à réfléchir vraiment. Du coup comment fait-on pour contrecarrer cette espèce de glissement que je, tu perçois. »
Hélas, je n’ai pas de solution, sinon continuer à évangéliser autour de moi, et corriger – quand je le peux – les erreurs que j’entends, les complotismes et démagogismes récurrents. Une goutte d’eau bien insignifiante qui n’arrête pas la facilité. Sale temps pour la complexité (dernier lien promis)
http://www.mediaculture.fr/2011/03/01/medias-information-sale-temps-pour-la-complexite/
Comme tu le sais peut-être, je crois aux vertus de la pédagogie et de l »explication dans des formats accessibles (cf datagueule, wedodata, quoi.info…). Il faut aussi que nous, producteurs de contenus, soyons plus simples sur la forme.
Mais c’est pour moi principalement de l’école + résolution du pb du chômage que peuvent venir les vraies solutions à long terme à ces questions liées à nos trouilles de déclassement, de l’autre, du monde.
Sinon, bonne lecture et bon courage, mais ne te force pas !Mes articles sont longs et assez chiants parfois) ^^
Bises
cyrille