I remember (l’enfance et la rédemption) The Young Pope.
– Et vous très Saint-Père ? Que rêviez-vous d’être lorsque vous étiez enfant ?
– Je rêvais d’être un enfant.
-Et maintenant, où est Dieu ?
-À Venise.*
Peu de séries m’ont marquée psychologiquement. Deux en fait. True Detective saison 1 et The Young Pope. Le rapprochement est vite fait : la spiritualité, deux séries qui parlent de notre rapport au monde, presque philosophiques. Les enfants ont adoré la première, je voyais bien Baptiste enregistrer mentalement des séquences, je le connais. Il a toujours beaucoup plus versé dans la spiritualité que Charlotte, plus terrienne. Je leur ai proposé The Young Pope sans trop y croire et miracle, ils sont tombés amoureux. D’abord fascinés, puis écoeurés, puis réconciliés avec ce pape iconoclaste, fumeur invétéré, implacable, buveur de cocas, prodigieusement intelligent, traumatisé, cruel et charismatique. C’est la seule série où ils ne passaient jamais le générique, ça m’a intriguée. Nous avons dîné dix fois devant la beauté et l’intelligence des plans de Paolo Sorrentino.
Jude Law incroyable, Cécile de France jubilatoire en attachée de presse, c’est avec plaisir qu’on retrouve Diane Keaton et on s’attache à cette galerie de personnages barbotant plus dans le pouvoir que dans la foi ; Javier Camara en est d’autant plus touchant. The Young Pope raconte le destin insensé d’un homme qui rêvait d’être à nouveau un enfant, un garçon qui rêvait d’être retrouvé, un pape plus dans une quête terrestre qu’intemporelle, un pape qui ne croit plus en Dieu. The Young Pope c’est l’histoire d’un garçon blessé qui a embrassé l’ambition et la raideur afin de se se hisser au dessus de sa souffrance pour réaliser qu’elle restera toujours face à lui malgré tout. Rien ne consolera, tout est dans la paix. Faire la paix.
-Les enfants aiment toutes sortes de choses, mais aucun d’eux n’a jamais écrit qu’il aimait la guerre (…) Vous ne savez pas à quel point la paix est merveilleuse ; vous n’avez pas idée à quel point la paix peut être déconcertante.*
Épisode 8.
On s’est regardé avec Baptiste, on s’est souri. Charlotte s’était endormie, épuisée de sa soirée de la veille, elle était entre nous, son sommeil était paisible. On s’est rien dit avec mon fils, mais je savais et il savait : le discours de Pie XIII pourtant simple, voire simpliste, d’une évidence réconfortante nous avait touché en plein cœur. Que sommes-nous pour oublier cette authenticité ? La paix. On a dit à Charlotte qu’elle devait absolument rattraper cet épisode, on n’a jamais su si elle l’avait fait.
Épisode 10. Nous avons regardé tous les trois le générique de fin. On était retournés et je sais que mes deux enfants étaient déçus que cette série se termine. J’ai couru chercher quel était le morceau qui soulignait une scène particulièrement touchante, c’était « I remember » de Saint Saviour. La scène de fin absolument magistrale tant par les images que par le fond : le pape apparaît ; enfin ; au sens propre comme au figuré. Au fond, il a traité ses fidèles comme s’ils étaient ses parents, ceux qui l’ont abandonné devant la maison de sœur Marie. La blessure inguérissable du manque d’amour, la sensation glaçante d’en manquer, le soupçon que rien ne comblera jamais ce néant.
Et où se niche le mieux ce vide à part l’enfance ?
En mes enfants, ce vide résonne.
En moi aussi. On n’a pas assez de toute une vie.
En vous aussi ?
Qu’ai-je fait en son nom ?
Que feront mes enfants en son nom ?
Qu’avez-vous fait ? Et que ferez-vous ? Encore ?
Grandir c’est se hisser au dessus de la condition d’enfant pour décider par soi et pour soi, tenter de contrôler la situation, comprendre que c’est une chimère et ou se débattre ou élégamment s’incliner. Et capituler, c’est accepter et se débarrasser du contrôle pour entamer une autre quête, chimérique elle aussi, retrouver l’espace d’un instant l’insouciance des enfants. Revenir à sa condition d’enfant. Une rédemption. C’est le chemin de ce pape.
On s’est regardé avec Baptiste, on s’est souri ; nous n’avons rien dit. Il sait bien ce qui me bouleverse, pourtant notre échange est un silence. Il soupçonne que je suis blessée et que je l’ai toujours été, que je fais en sorte de ne plus l’être, que j’ai manqué d’amour et que je n’ai pas su, pu sauvé la bonne personne et que j’essaye de faire la paix avec ça. Une rédemption.
On s’est regardé avec Baptiste, on s’est souri ; nous n’avons rien dit. Je sais bien ce qui bouleverse mon fils, pourtant notre échange est un silence. Je sais bien qu’il est blessé et qu’il l’a toujours été. Son père. Parce qu’il est né garçon et que son père en a perdu un, il sait qu’il incarne quelque chose d’insupportable pour son père ; celui-ci l’a toujours évité, même s’il l’aime, il ne peut pas s’approcher. Baptiste le sait et c’est comme s’il était désincarné. Il a eu beau tenter d’être le bébé le plus adorable du monde, ça n’a pas suffi. Il n’a pas pu sauver. Peut-être est-ce la raison de sa manière de n’être jamais vraiment là ; ses silences et ses éloignements. Ce manque d’amour.
Que fera mon fils en son nom ?
On peut poursuivre tant que l’on veut, la seule personne qui peut vraiment vous consoler c’est bien celle qui vous a blessé. D’où l’ambivalence et la difficulté, voire l’impossibilité.
On s’est regardé avec Baptiste, on s’est souri, nous n’avons rien dit. Nous savons bien que nous sommes blessés et que nous le serons toujours. Nous espérons juste une rédemption, une paix.
Une seconde chance. Une réinvention. Un temps où nous souriions.
-Dieu ne crie pas. Dieu ne murmure pas. Dieu n’écrit pas. Dieu n’entend pas. Dieu ne bavarde pas. Dieu ne nous réconforte pas. Et tous les enfants lui ont demandé : qui est Dieu ?! Juana a répondu : Dieu sourit.*
Dieu sourit. Peu importe le nom que vous lui donnez. Je l’appelle Dieu, vous le nommez espérance. Il sourit et c’est ainsi qu’il embrasse l’humanité toute entière. Elle se niche dans l’infime et l’infini et elle sourit. Elle n’est que ça car que reste-t-il au delà de nos agitations dérisoires ? Le sourire accompagne toujours nos rédemptions n’est-ce pas ? Qu’elles soient infimes ou infinies ? Et il accompagne toujours la bienveillance.
Peut-être que Baptiste a déjà compris la quête vaine, que cela ne servait pas à grand-chose de se hisser au dessus de sa condition d’enfant, pas à grand-chose de se débattre avec sa blessure. Peut-être a-t-il déjà compris que la vie le ramènerait au point de départ.
On s’est regardé avec Baptiste et on s’est souri…
On se souviendra.
-Someone should have told you that you’d always have a place to go
Oh, we thought you would have known
Someone should have told you that you’d never find yourself alone**
* Extrait de The Young Pope
** Extrait de « I Remember » de Saint Saviour