En finir avec l’histoire du bouquin « Très intime »

3 novembre 2017 10 Par Catnatt

 

Résumé des épisodes précédents : 

En 2013, Ina Mihalache est à l’initiative d’un projet qui consiste à interviewer des femmes chez elles sur leur vie intime sous format audio. Je suis « copine » avec elle, elle me le propose et je suggère des participantes. Les dits interviews sont diffusés sur le Mouv et restent accessibles sur le soundcloud de cette radio + reprises par des sites de podcasts. Jamais il n’a été question d’un bouquin.

En 2017, soit 4 ans après (!!), j’apprends la publication des interviews dans un livre (voir ici). Le dit livre publié sans demande d’autorisations auprès des participantes, sauf une. Cette jeune femme avait demandé le retrait de son interview, chose qui lui a été tacitement refusée par Ina Mihalache par absence de réponse. Par contre Ina Mihalache lui a envoyé un mail pour lui demander la permission de publier son interview. Elle s’est également passée de l’accord de cette personne (celle-ci ne consultait plus cette messagerie et n’a donc pas répondu). Comme quoi, finalement, il fallait bien une autorisation.

Les interviews ont été publiés brut de décoffrage. Sans efforts de ponctuation. Ina Mihalache s’est contentée de publier une intro.

J’ai tapé un scandale (voir également l’article de Renée Greusard) parce que mon CONSENTEMENT est une chose essentielle. D’autres ont suivi. Les réactions ont été partagées : soutien, accusation de vouloir se faire de la pub et d’exploiter Ina Mihalache et gros silence de certaines qu’on a vu plus réactives…

Et maintenant ? 

Seules deux d’entre nous, Camille et moi, avons voulu entamer une procédure. Les autres ou n’étaient pas intéressées ou avaient peur d’être mises sur la place publique ce que je peux parfaitement comprendre. Nous avons donc pris une avocate et comme nous sommes respectueuses, nous, du processus, nous avons commencé par envoyer une lettre de mise en demeure. Cela nous a coûté 780 €. La réponse de l’éditeur a été exceptionnelle : en gros rien à foutre. Ina Mihalache ne s’est même pas fendue d’une réponse à ma connaissance. Force est de constater d’ailleurs que nous sommes dans une ère où les éditeurs pour certains sont en roue libre (voir la mésaventure de Martin Winkler et Marc Zaffran sur la préface du bouquin « j’arrête la pilule »)

Ina Mihalache a présenté des excuses au mois de juin, foireuses à mon avis. A observé un silence malin pendant deux ou trois mois et a repris tranquillement du service.

Camille pour qui financièrement c’est compliqué s’est retirée de la poursuite de la procédure et moi j’ai longuement réfléchi.

À l’heure où nous n’avons jamais autant entendu parler de consentement, je ne vous cache pas que la décision a été compliquée. Parce qu’au stade où j’en suis, je pense que ce qu’a fait Ina Mihalache est quelque part une agression psychologique. Je renvoie au témoignage de cette jeune femme qui a vu le récit de son viol publié par Ina Mihalache sans son consentement. Double peine… Si ma réaction a été aussi épidermique, c’est bel et bien que je l’ai ressenti comme une agression ; une invasion de mon intimité, intimité que je choisis à chaque instant de partager ou non et qui n’est pas en libre service. J’ai d’ailleurs une pensée émue pour tous(tes) ces ardents(es) défenseurs(ses) de la cause féministe qui se sont allègrement assis(es) sur notre consentement à toutes. On voulait de l’argent, on a pulvérisé notre anonymat pour se faire de la pub, nous étions pathétiques, comment n’avons-nous pas pu réaliser que cet ouvrage était plus important que nous etc etc.

Ça ne vous rappelle rien ?

En fait, là, j’en suis à un stade où je suis écoeurée. Parce que rien ne changera ou trop lentement et que je me dis que je ne serai plus là pour le voir. Les gens continueront de s’asseoir tranquillement et tête haute sur le consentement des autres. Où est le problème en fait ?! Arrêtez d’être des emmerdeuses, bordel ! Ina Mihalache continuera son arnaque féministe soutenue par sa horde de fans pour qui la cause est plus grande que les individus, pour qui les principes sont à géométrie variable et les convictions proportionnellement aussi élastiques que la souplesse de leur héroïne quand elle fait des démonstrations de yoga. Si vous aimez vous raconter des histoires, grand bien vous fasse…

Alors vous savez quoi ? Je ne vais pas la continuer cette procédure. Au nom de quoi j’irai au carton ? Légalement, je suis obligée de taper sur le droit d’auteur et on le sait bien que le résultat est aléatoire. Entendons nous bien, si l’auteur avait fait de nos témoignages une fiction, jamais je n’aurais bougé une oreille ; parce qu’en fiction on a tous les droits, c’est une conviction personnelle. Pour l’histoire qui nous concerne, un livre de TÉMOIGNAGES, soit la réalité, je voulais juste qu’on reprenne à zéro et que la demande de consentement soit faite et que seuls les interviews autorisées par les témoins soient publiés. J’estime que je ne suis pas dans l’exagération. Pourtant, c’est plus compliqué que ça. C’est toujours plus compliqué que ça.

Vous vous demandez pourquoi c’est aussi difficile de porter plainte ? Parce que quoi qu’il arrive, on reste seul avec ça. « On se débrouille » comme dirait Christine Angot. Je n’ose imaginer lorsque les faits sont bien plus graves. Et il y a l’aspect financier. Donc sans aucunement comparer ma situation avec celles qui ont subi une agression, la mécanique du consentement reste ici partagée. Je n’ai pas donné mon consentement pour que des confidences cédées dans un contexte bien précis soient balancées dans des pages arides. Il y manque mon rire, mon ironie, mes intentions et mes intonations. Il y manque surtout mon consentement, je ne cesserai pas de le marteler. Et encore, je m’en sors bien, je n’ai pas d’histoires lourdes diffusées.

Je ne vais pas partir seule en guerre contre des gens qui n’arrivent pas ou font semblant de ne pas voir que c’est mal ce qu’ils ont fait. Simplement mal. Longtemps, je me suis battue ou j’ai la faiblesse de le croire. Mais là, je suis fatiguée et j’ai envie d’être tranquille. C’est devenu un objectif de vie : être en paix. Jamais plus je ne participe à quoi que ce soit sans cadre légal. Dieu seul sait que j’en ai fait des choses grâce à internet, ça c’est toujours très bien passé jusqu’à cette sale histoire. Mais là, le choc a été tellement rude que je suis devenue radicale.

Quand on a le féminisme à géométrie variable, je crains qu’il n’y ait pas grand chose à faire. Parce que même si je gagnais, il y aurait toujours des personnes soi disant bien intentionnées, qui relaient à tour de bras des luttes féministes, pour expliquer que c’est dégueulasse ce que j’ai fait à Ina Mihalache.

Alors que ça n’aurait été que justice. On a eu droit à « oui moralement c’est discutable, mais c’est légal ». Ça ne l’est pas, mais je vais pas aller, seule, au combat pour le démontrer.

Quant aux critiques de ce livre qui sont parues post scandale, expliquant doctement à quel point le travail d’Ina Mihalache est formidable pour les femmes… Je vous conseille de vous regarder en face et de vous demander quelles sont vos convictions et quelles sont vos limites.

Et pour être franche, je souhaite à tous ceux et celles qui ont soutenu ce bouquin directement ou indirectement de subir, à niveau égal (j’espère que je suis bien claire sur ce point, pas de malentendus malheureux) la même chose. Peut-être que vous y réfléchirez à deux fois avant de soutenir aveuglément quelqu’un pour qui vous avez de l’admiration ou d’encenser un bouquin parce que vous ne voyez que l’avancée collective et pas les destins particuliers.

Si j’ai pris soin tout le long de ce texte de ne JAMAIS appeler Ina Mihalache par son nom de scène, c’est que c’est bien elle qui a pris la décision de publier ce bouquin. Et c’est à elle que nous avons écrit via une avocate. Si j’ai pris soin tout le long de ce texte de ne jamais appeler Ina Mihalache par son nom de scène, c’est bel et bien parce que son personnage peut faire des leçons de morale (que j’ai hélas parfois soutenues) sur le féminisme, mais que j’ai la conviction qu’Ina Mihalache ne sert que ses propres intérêts et que le féminisme est un créneau, une posture comme un(e) autre.

Lorsqu’on veut faire avancer une cause au forceps, lorsque l’on écrase le consentement d’individus au nom du collectif, il est largement temps de s’affoler et de se demander ce qu’on est exactement en train de fabriquer au nom de principes louables.

Cela vaut pour cette histoire de bouquin comme pour le reste…