Je voudrais que quelqu’un aille bien quelque part (Strange Weather)

6 février 2022 0 Par Catnatt
Melancholia. Lars Von Trier

17 janvier 2022

Ça va vous ?

C’est Cécile qui a utilisé le mot « dériver » la première fois.

Ce week-end, j’ai fermé mon téléphone, les interactions sociales finissent par m’angoisser, je me plains, tu te plains, je râle, tu râles, et le covid, je vais pas très bien, ha toi non plus, et le covid, et machin a sorti une énormité, ha bon et je me plains et tu te plains.

Je cherche l’impulsion. Je dérive.

Et je suis sous anti-dépresseurs depuis 6 mois. Peu importe pourquoi, rien à voir avec le covid, mais qu’est-ce que ça serait si j’étais pas sous médocs ? Oui c’est bien ça, je dérive, j’ai l’impression d’être là sans être là, comme si on avait réussi à créer une zone intermédiaire entre la vie virtuelle et la vraie vie. Une absence à soi-même.

Et je me serais dit que c’était moi comme d’habitude, mais ce matin j’ai fini par le verbaliser et Isa cherche l’impulsion elle aussi et Clémence fuit elle aussi et Cécile dérive et moi aussi.

Nous dérivons, arche de Noé, sans animaux et sans Noé.

Le problème c’est que la route est longue, le Covid on l’a pris comme un sprint, c’est un marathon, l’horizon est à 2025 je crois, le moment où ce sera une maladie saisonnière, en tout cas une maladie gérée. Donc faut faire avec.

06 février 2022

Lassés ou en colère, enfin énervés. Il y a peut être une tranche au milieu. La tranche qui va bien. Comment font-ils ? Mystère, je n’en connais pas.

Je voudrais tant que quelqu’un aille bien quelque part.

Le temps est incertain. Strange weather.

Pas de lieu préservé, c’est Mélancholia sans la météorite, il n’y a aucun endroit au monde où le covid n’est pas présent d’une manière ou d’une autre, et la tuberculose qui revient il parait, pas de refuge, pas de grotte, pas de terre d’asile. D’où le manque d’énergie humaine, cette matière première à laquelle pas grand monde fait gaffe. Alors nous sommes lassés ou en colère.

Je suis allée voir ma chiro avec qui je n’avais pas pris rendez vous depuis un mois, ça ne m’arrive jamais. J’étais à plat, Pauline me dit mon cabinet devrait être rempli, mais les gens n’ont même plus l’impulsion de se faire du bien, on vit chichement et on peut se raconter ce qu’on veut, faire la fête de temps en temps ne comble pas la fuite.

L’humanité est à plat.

Est-ce que c’est déjà arrivé ? À la limite la guerre, il y a encore l’énergie de survivre, de tuer, de massacrer, de vaincre, mais là… L’ennemi est invisible, mute, détruit, s’adapte comme un alter ego de l’humanité. C’était dans quel film où elle est considérée comme un virus déjà ?

Ça allait mieux après la chiro. C’est revenu après. J’ai même dansé seule dans ma salle de bain. Pris le fou-rire de l’année lors de mon anniversaire : mes deux enfants en train de batailler pour rentrer mon mot de passe netflix à coucher dehors, genre ça, pMhQjRc?!LAB$GCBg!TjnqTY. ( N’essayez pas, c’est le mdp d’aucune appli chez moi…)

Un homme est mort de froid pendant neuf heures place de la république. Les gens sont passés, n’ont rien vu, ne se sont pas arrêtés. Là sans être là, que se sont-ils dit ces gens en l’apprenant le lendemain ou peut-être quelques jours après : j’y étais ? Non tu n’étais pas là, tu n’as rien vu, centré sur ton mètre carré de vie, d’angoisses, de rires, ton tout petit mètre carré de vie, ton espace personnel qui ne se fendille pas lorsque tu vois un vieil homme allongé par terre place de la République.

Cette absence au monde.

Nous nous nourrissons les uns les autres et repliés sur nous mêmes, notre énergie commune devient le trou de la sécurité sociale, les trous dans la couche d’ozone, la dette publique, une économie parallèle à laquelle nous avons peu accès. Une faille dans notre histoire.

L’humanité à plat.

C’est une faille dans notre Histoire et je voudrais tant que quelqu’un aille bien quelque part.

Strange Weather

Mais peu à peu ça revient, par petites touches, janvier et février ça n’aide pas, dépression saisonnière, les oiseaux chantent parfois, peut-être qu’en mars ou bien avril ?

Certains sont en boucle, je le vois bien, en boucle sur les mêmes sujets, maintenant que je ne fais plus la moulinette je le vois d’autant mieux, en boucle, boucle, boucle, si je ronge et que je m’énerve, j’existe encore ? Et d’autres ou peut-être les mêmes confondent les rêves instagram avec la réalité et si tout le monde me regarde, j’existe encore ? Et si je fais les mêmes gestes que d’habitude, les mêmes trajets, les mêmes habitudes encore et encore, même si je suis absente au monde et à moi-même, j’existe encore ?

Strange Weather

Je ne me levais plus à 6h, routine abandonnée, réveil au dernier moment, café, clopes, jeu video, sauter dans une douche et aller au taf déjà lassée. M’agiter. Je rentrais chez moi, routine abandonnée, dîner à l’arrache, verveine, clopes, série. Dormir.

Mais j’ai déménagé les meubles de ma chambre, levée à 7h, puis 6h30, café, clopes, jeu video, un peu de yoga, routine presque revenue. Aller au taf. Revenir à la maison, rire avec ma fille. Rire avec mon fils. Regarder mon telephone sonner sans répondre, rester assise sur mon lit, regarder l’ordonnance des analyses que je dois faire depuis deux mois, allumer une clope, sourire ou soupirer ?

Fever dreaming of love
Fever dreaming of home
All will be well

The more I learn, the more I care (Villagers, Fever Dreams)