Peu d’alliés, beaucoup d’ennemis (Karma Police)

11 mai 2022 0 Par Catnatt

Martin avait fait irruption dans la politique comme un diable sortant de sa boîte, pouf et il était partout. Promenant sa petite personne à tous les évènements qui comptaient – taper l’incruste à ce point là relevait d’une performance artistique majeure – et tous et toutes s’étaient habitués à le voir déambuler dans les mêmes sphères qu’eux : sa silhouette moyenne, ses propos moyens, cette manière moyenne de se survendre, personne ne l’avait vu arriver. Il n’était ni brillant ni complètement nul. Il était acceptable et nul ne soupçonnait l’arrivisme totalitaire qui le brûlait.

Mais revenons à sa silhouette moyenne.

Tout l’argent du monde ne créait pas pour autant une élégance. Cette injustice. C’était du par coeur, sans risques, une totale absence de style. C’était presque injuste, le meilleur jean, la meilleure chemise, les meilleures pompes et pourtant ça retombait comme un soufflet. Pouf.

Martin n’était ni moche ni beau, même pas mignon, il y avait quelque chose d’âpre chez lui même dans le visage. Il n’était pas insignifiant non plus. Même pas. On le reconnaissait, mais son visage aperçu laissait une odeur vaguement désagréable, un truc dont on avait envie de se débarrasser rapidement.

Pourtant un à un, péniblement et inexorablement, Martin grimpait les échelons du pouvoir, gagnait les oreilles des décideurs et des puissants et pulvérisait en chemin tout individu manifestant un peu trop ostensiblement ses doutes à son encontre. Dans le monde de Martin, c’était la Corée du Nord en mode soft power. Ses victimes tentaient de le confronter parfois, mais il mentait avec une vergogne qui laissait pantois. Comment faisait-il pour s’attirer les bonnes grâces des responsables ? Le classique, flatterie, auto et à l’encontre d’autrui additionné de la connerie des gens : résultat.

Martin ne suscitait pas la sympathie, les conversations étaient vaguement intéressantes et très vite tu percevais une dissonance en lui. Le discours impeccable, des fissures et les actes contradictoires. C’était un parfait petit connard sous forme d’anguille. C’était glissant et poisseux. C’était désagréable.

Martin s’attribuait avec constance bien plus d’expertise qu’il n’en avait. Personne ne comprenait d’ailleurs le poste qui lui avait été attribué, inventé tout exprès pour lui pour justifier sa présence : responsable de l’harmonisation des relations avec les autres partis. WTF ! Certains vieux briscards et certains militants très actifs se regardaient perplexes. Ils auraient vite fait de comprendre à qui ils avaient affaire tout en étant empêchés de mettre le sujet Martin sur la table. Ben quoi Martin ? Il est formidable ! Même ceux qui avaient simplement un doute avaient vite appris à la fermer à son sujet, anguille toujours, il vous glissait entre les doigts. À marche forcée, le petit monde de notre Mao Zedong avait constamment en arrière pensée « pourvu que Martin ne me prenne pas en grippe » et donc osait peu verbaliser. Et si celui qui écoutait allait tout répéter ?

Martin ne supportait pas la contradiction, il fallait que ça se passe exactement comme il l’entendait. La méthode était immanquablement la même : une petite remarque acerbe, puis 2, puis 3, le tout parfaitement rythmé – Martin était un Beethoven de la calomnie – la victime se retrouvait sur la sellette, nerveuse, commençait à commettre des erreurs de rien sur lesquelles notre Mozart de l’insinuation perverse surfait avec allégresse. Voire avec bonheur. Pour peu qu’on fasse un scandale, c’était pain béni pour lui : c’est impossible de bosser dans l’hystérie comme ça, il ne faut pas prendre les choses personnellement, c’est strictement professionnel. Rien ne dépassait chez lui, quand le climat dégénérait, il penchait simplement la tête sur le côté, ses petits yeux scrutant et il mimait parfaitement une désolation feinte. Imprenable.

Martin voulait le pouvoir. Ceux et celles qui l’avaient écouté ne tarderaient pas à faire les frais à leur tour de la méthode Martin. Pas de gloire, de la médiocrité, le pouvoir sans charisme et sans intelligence, le pouvoir pour le pouvoir. Le pouvoir sur des trucs à la con dont 99% des gens se tapent. Cette énergie. Le pouvoir sans rien construire.

Qu’une personne comme Martin puisse faire autant de dégâts estomaquait tout le monde. Son super pouvoir c’était une avidité gratuite, rampante et illimitée.

Peu d’alliés, beaucoup d’ennemis. Pas le calcul le plus malin. Mais Martin n’était pas stupide, son intelligence étant exclusivement dédiée à sa recherche de pouvoir, Martin était un ambitieux monotâche ce qui vous en conviendrez rendait la démarche nettement plus compliquée. C’était un besogneux, il foutait la merde avec une régularité stupéfiante, dans le calme et le passif agressif, ça forçait presque le respect cette ténacité.

Et Martin grimpait, grimpait. À deux doigts du vrai pouvoir, son système s’écroula. Des années de rancoeur le cernait. Quelques personnes se regroupèrent, actant qu’il était inenvisageable qu’il prenne la tête du parti. Rien que l’idée de le voir se pavaner sur des affiches tenant un discours à mille lieux de ce qu’il était, donnait envie de dégueuler. Ces quelques personnes contactèrent un célèbre site indépendant spécialisé dans la politique et les scandales inhérents à l’exercice. 3 témoignages. Puis 5, puis 10 et ce fut l’avalanche, le scandale. Ce qui tua Martin ce n’était pas tant les actes en eux-mêmes mais la multiplicité. Après tout, quoi de bien concret à lui reprocher ? D’anciens collègues de travail, des copains de lycée, des potes de l’école primaire, tout le monde y alla de son petit témoignage et se dessina au fur et à mesure, le portrait d’un gosse que personne n’aimait, que les profs appréciaient quelques temps avant de s’en détacher. Légèrement harcelé, si tant est que cela existe, Martin avait construit un rapport au monde fait de revanches, de vengeances, de dédommagements. Un jour tout le monde l’aimerait.

Le problème c’est qu’à l’ère des réseaux sociaux, personne ne l’oubliait non plus. X qui avait subi ses combines à l’école avait ressassé sa frustration à chaque fois qu’il croisait Martin sur les réseaux. Ses victimes aussi étaient sans cesse rappelé à son mauvais souvenir. Et tous finalement avaient construit un rapport à Martin fait de revanche, de vengeance et de dédommagement.

Le scandale dura une semaine, il fut prié de démissionner et tout le monde l’oublia. Ses crimes n’avaient pas suffisamment de panache pour rester dans les annales. Il avait eu aussi le scandale moyen.

Il termina sa vie seul, entouré de quelques connaissances qui prenaient un soin maniaque à le voir peu. Il ne comprit jamais ce qu’on lui reprocha. Le karma le rattrapa, lui fit payer jour après jour sans que pour autant une révélation en sorte.

Il ne laisserait aucune trace de son passage. Passé deux générations familiales, les oubliettes.

Martin avait vécu pour rien.