16 ans mio amato bambino

6 janvier 2019 2 Par Catnatt

« Boyhood »

Tu as eu 16 ans avant-hier mon fils et me voilà comme pour ta soeur avant toi. 16, c’est le chiffre clé, l’âge auquel ma mère estimait qu’on pouvait se débrouiller seul.

Pourrais-tu ? Longtemps, j’ai considéré que tu étais trop petit, pas assez mature, fragile et rêveur, mais je me suis longtemps trompé je crois. J’ai confondu deux choses : le fait que tu ne voulais pas grandir et ta capacité à faire face, les deux n’ont finalement rien à voir quand on y pense vraiment. Ce n’est pas parce que tu as compris depuis l’éternité que le monde adulte était un chausse-trappe que tu n’es pas capable de négocier avec.

Tu t’es révélé cette année. L’arrivée au lycée contre toute attente a été libératoire pour toi, libre d’être ce que tu voulais au milieu d’inconnus, tu t’es lancé. Tu as gardé tout près de toi tes amis d’enfance, ta garde rapprochée, celle dont tu as besoin et te fait rire, celle qui t’aime et t’empêche de vivre. C’est toujours la même chanson, n’est-ce pas ? Dès la maternelle, c’était un problème. Il a fallu splitter ta classe en deux à cause de toi ; tes amis se disputaient ton temps, ton affection et ta présence et tu étais quelque part objetisé. Parce que tu n’osais faire de la peine, avais ta dose de dramas avec moi et la famille, tu te laissais balloter : plus simple, plus reposant.

Tu as toujours été quelqu’un de profondément gentil, tu étais un bébé merveilleux, tu prenais ce qu’on te donnait, tu t’adaptais et tu trépignais de parcourir le monde. La vie t’a fauché en plein vol. Enfin… Les adultes. C’est peut-être pour ça que ça ne t’intéresse pas du tout d’en devenir un, je m’en rends compte en l’écrivant. Je n’ai pas été une bonne mère pour toi au début, j’étais absente. Oh les gestes et la présence étaient bien là, mais tout était mécanique, j’étais ailleurs, loin, au fond de moi recherchant désespérément les ressources pour respirer à nouveau. Ta soeur a été la seule à toujours être près de toi, les adultes se sont succédés pour finalement partir. Je suis revenue d’entre les absents et je ne t’ai plus jamais lâché, c’est toi qui au fil du temps est devenu lointain, ailleurs, au fond de toi comme un effet boomerang que je ne soupçonnais pas. On paye toujours, non ?

Et cette année, tu es revenu. Tu es là à nouveau parmi nous. Tu danses, tu discutes, tu ries, tu es attentif. Pendant des années, j’ai voulu aller te chercher, te ramener, mais la quête était impossible sans toi comme dans un jeu video où t’as pas trouvé le foutu cristal. Ça fait des années qu’on joue à ce jeu toi et moi, éternelles disputes, éternelles répliques, « répond ! », « Je ne sais pas », éternels malentendus, éternels silences.

Et tout cet amour.

Tu étais l’inconnu, l’insaissisable, l’étranger.

And God only knows what I’d be without you.

Mon petit philosophe, sautillant de blagues toto à existentialisme, une âme que je perçois encore comme ancienne, comme si tu avais déjà tutoyé l’éternité. Moi, la croyante, je t’observe et tu en sais déjà tellement plus que moi. J’ai foi en toi.

Tout le monde s’est toujours accordé à dire à ton sujet que tu es extrêmement intelligent, posé, sage. Sage non pas comme un être qui ne va pas bouger, mais comme un être qui a déjà compris tant de choses. L’éducation nationale m’a toujours parlé de ton recul face aux évènements, comme si tu faisais toujours un pas de côté. Il ne te manquait que la discipline, le travail. C’est ce que tu as compris cette année entre autres.

Pourtant j’ai eu peur. J’ai eu peur de nous. Je t’ai souvent dit qu’à cette allure-là, nous n’aurions plus rien à nous dire dans quelques années. Quand le silence était trop fort, trop lourd au sein de ce radeau, la noyade jamais loin, mais toujours l’un de nous tendait une main à l’autre, juste à temps. Viens, je n’ai pas de solution à proposer, mais viens, nous finirons par atteindre les terres communes. Nous portions cet espoir, ça je le sais.

Et nous voilà à présent. Dans deux ans tu es censé partir seul au Japon, le pays de tes rêves comme ta soeur est partie avant toi. Je n’ai aucun doute sur le fait que tu vas gérer de main de maître. Je t’ai cru plus fragile, c’était une illusion, plus le temps passe, plus je me dis que c’est toi le plus solide, le plus fort parce que précisément tu n’en fais pas démonstration. Tu conseilles ta soeur qui te trouve toujours pertinent. Moi aussi.

Tu ressembles à Harold, ton cousin. Tu as ce je ne sais quoi en commun avec lui, ce calme apparent, mais cette capacité à péter un plomb. Harold a toujours eu plus de recul que nous tous réunis, une lucidité particulière. Il est parti loin lui aussi et il est revenu.

Tu dessines tellement bien. Tu as ton univers, plein, entier quoi qu’il arrive. C’est précieux, rien ne t’empêchera jamais d’avoir un crayon et du papier et lorsque tu te sentiras coincé, tu pourras toujours t’asseoir et dessiner une porte de sortie, esquisser ton évasion, peindre ton horizon, tracer le chemin. Tu as cette liberté infinie, ne la perds jamais. J’ai foi en toi. Tu as enfin trouvé ta manière de négocier avec le monde, comme moi avec ce blog. C’est l’idée la plus apaisante qui soit pour moi : savoir que tu as ça en toi quoi qu’il arrive. Lorsque votre enfant a trouvé sa manière de négocier avec le monde, tout le reste peut suivre, il saura toujours trouver une porte de sortie, un exutoire.

C’est probablement cette envie, ce désir qui t’a apporté la paix avec l’avenir. Peut-être que distinguer un possible un stylo à la main t’a apaisé au sujet de cette perspective terrifiante d’une vie, de 40, 50, 60 années à remplir, à affronter, ces pages blanches. Peut-être. Je note juste que c’est depuis que tu as ton compte instagram et que tu publies tes dessins, depuis que tu dessines comme un fou que nous allons mieux. Tu as fini par atteindre tes terres, ta providence, tes ciels. Et tu m’as tendu la main, un sourire ravageur aux lèvres.

Je n’avais qu’à attendre patiemment. Pas mon point fort, je le reconnais.

Tout cet amour.

Ta soeur est ma terre, tu es mon ciel. Ça peut sembler niaiseux dit ainsi, mais il y a quelque chose de cet ordre-là : Charlotte est celle par qui je suis devenue responsable et tu es celui par qui j’ai réussi à garder ma part de rêve. Je suis entre vous deux, vous m’avez élevée, je vous l’ai dit à plusieurs reprises, je ne serai pas la même sans vous, vous avez fait de moi quelqu’un de meilleur. Et nous arrivons à l’âge où nous pouvons acter que nous n’avons pas fait trop de la merde, moi en tant que parent et vous en tant qu’êtres en devenir. J’ai passé des années à me dire que j’allais me planter, qu’élever des enfants était un travail d’Hercule, que personne ne signerait si on savait vraiment ce que ça représenterait. Nous nous en sommes sortis, je crois. Ensemble.

And God only knows what I’d be without you.

Ce que nous sommes est indestructible. Oh nous aurons nos épreuves, évidemment, mais je crois que nous avons l’essentiel pour atteindre l’éternité, au moins une étoile qui nous en rapproche. Ensemble.

Tu as grandi au sein de ces pages, tu avais 4 ans quand j’ai commencé à écrire. Vous avez été un de mes sujets de prédilection, particulièrement toi. Et te voilà presqu’un homme, mon fils. Je t’ai fait lire « le paradis perdu des kit kat » il y a peu, tu te souvenais parfaitement de ce moment. Lors de notre grande traversée, cet océan, nous nous souvenons tous les deux de cette île. C’était si gratifiant pour moi.

Il y aura d’autres îles, d’autres orages, d’autres détresses et d’autres horizons, mais toujours je serai là. C’est inconditionnel. Je t’aime. Je t’aimerai toujours tant qu’il y aura des étoiles au dessus de nous. Après, je ne sais pas, c’est l’inconnu, l’étranger, l’insaissisable, une nouvelle terre à découvrir, celle où tu as déjà posé un pied : l’éternité.

Continue de rêver, de t’échapper, je serai toujours là. Je t’aime et j’ai foi en toi.

En attendant…

« I may not always love you
But long as there are stars above you
You never need to doubt it
I’ll make you so sure about it
God only knows what I’d be without you »

Bon anniversaire Baptiste.