C’est de l’amour. C’est du poison.
Quand je réalise, parfois, le regard que je pose sur mon fils, entre fascination (cet être étrange de sexe opposé que j’ai mis au monde) et amour absolu (« mon enfant »), je me demande comment on se remet de ça, devenu grand.
Ce que je veux dire par là, c’est que j’aime aussi intensément ma fille et mon fils mais que cela ne s’incarne pas de la même façon. Ma fille, c’est animal, c’est pulsionnel et surtout je sais. Ou je m’illusionne que je sais mais nous sommes « féminin » et la relation est intuition.
Mais mon fils…
Je suis dans sa chambre et il est là me montrant fièrement je ne sais quel objet, je le regarde et c’est plus fort que moi, je marque une pause. Il y a quelque chose qui m’échappera toujours. Quelque chose qui s’inscrit différemment, quelque chose de masculin. Je l’attrape et l’embrasse : « Ma merveille ».
J’avais 10 minutes auparavant fait un énorme câlin à ma fille en lui expliquant que – je suis sortie tous les soirs depuis trois jours – ils m’avaient manqué et que j’étais ravie d’être là ce soir avec eux. Je l’avais serrée dans mes bras, toi ma fille, fort, fort, fort, toi, moi, fort.
C’était la même force de sentiments mais c’était vraiment différent. Je n’arrive pas à m’y habituer. Ca me semble tellement naturel que Charlotte soit Charlotte. Et tellement étrange que Baptiste soit Baptiste ; ma chair qui n’est pas moi.
Et ce regard que je pose, parfois sur lui, ce regard qu’il perçoit… Je me demande quel impact ça a sur lui. Je me demande s’il ne va pas passer sa vie à courir après ; ce regard qu’il ne retrouvera jamais, c’est impossible. De l’amour comme une gangrène…
J’imagine que l’inverse existe : un père avec sa fille. Je n’en sais rien, mon père n’a jamais posé ce regard sur moi. Concrètement, je ne suis pas fusionnelle avec mon fils. Il est autonome, il est indépendant, je ne le colle pas et je ne supporterai pas qu’il le fasse. Je ne suis pas une mère colle-scotch. Vraiment pas. Mais il y a ce regard… Je n’y peux rien, c’est incontrôlable, je le subis, il le subit. Je le réalise parce que je vis toujours en deux dimensions : vivre et regarder vivre.
Ca m’inquiète de temps en temps.
Comment se remet-on de ça, devenu grand ?
C’est de l’amour.
C’est du poison.
Quand je regarde les yeux de mon fils (2 ans et demi) j’y vois le secret de la vie et cela ma rend heureux. Ne cherchons pas plus loin une autre explication.
Tu ne cherches pas plus loin d’explication.
Pourquoi utiliser la troisième personne du pluriel ? ^^
avant tout c’est de l’amour, comme tu dis 🙂
françoise héritier parle beaucoup de ça, elle fonde même une grande partie de ses analyses là-dessus, le fait que les femmes peuvent engendrer des filles (le même sexe qu’elles), et des garçons (« l’autre » sexe).
mais je préfère ta façon d’en parler, sans offense pour cette (très) grande dame ^^_
Le « ne cherchons pas plus loin » s’adresse a nous, les parents.
Accompagner ce petit être jusqu’à la vie adulte reste un bonheur sans limite. Lui ne voit que son propre monde. Moi je vois tant de choses en lui, à commencer par moi-même.
Mais je ne comprends pas pourquoi « nous » parents nous ne devrions pas chercher plus loin des explications.
Je cherche toujours plus loin des explications.
Une relation parent-enfant n’est pas anodine. Elle est complexe, ambivalente et terrible.
Je comprends très bien ton choix mais le « nous » me gêne. Je ne m’y inscris pas 🙂
Arbobo : merci. Je pense que tu l’as compris : je regardais Baptiste et cette phrase a surgi : C’est de l’amour. C’est du poison.
Toute l’ambivalence des sentiments.
Il est toujours important de chercher des explications à ses émotions qui nous submergent, ne serait-ce que pour pouvoir les reproduire quand elles nous font du bien ou limiter leurs effets quand elles sont douloureuses.
Comme dit ailleurs, sur un autre média, cette relation que tu décris avec Baptiste, ce regard, ressemble à celui que m’accorde encore ma mère et il n’est pas un poison pour moi.
Je sais désormais que ce n’est pas une compréhension intellectuelle de cette amour filiale qui m’est nécessaire mais une véritable compréhension émotionnelle.
Aujourd’hui, on parle, on s’engueule, on s’embrasse, on pleure, on se boude mais sans savoir pourquoi on en revient toujours à ce moment où, dans ce regard involontaire et chargé d’amour l’apaisement des âmes (au sens littéraire), se fait.
Ce qui peut être ressenti comme un poison pour l’une est une médecine pour l’autre.
Ce regard est précieux…
Quant à la relation père fille c’est une autre histoire… une autre fois peut-être 😉
Relire Sartre. On ne peut pas vivre et raconter.
gné ?
Aaaah, « ma merveille »… Quel beau mot et quelle expression terrible!!
Bon, cet émerveillement ne vient-il pas tout simplement de ce que ce bébé, cet enfant, représente l’étranger, l’autre, l’autre sexe. Et qu’on a l’occasion de cette fameuse toute-puissance maternelle.
Il n’y a pas de rivalité entre une mère et un fils, pas de relation « intuitive », un souci différent, une manière autre de protéger l’enfant du monde. Les garçons aussi sont fascinés par leur mère, du moins quand ils sont tout-petits précisément à cause de ce physique qui leur échappe.
J’ai plusieurs amies qui ont deux fils. Elles sont assez différentes, certaines très fusionnelles, très « ma merveille », d’autres très maternelles et indulgentes.
Voilà: une mère est sans doute plus indulgente avec son fils qui, en retour, sera moins démonstratif qu’une fille (il n’ira pas faire du shopping avec elle ou alors c’est un futur Jean-Paul Gaultier).
Mon fils de tout juste 17 ans vient de quitter la maison, j’en ai fait un petit rondeau à la manière de Charles d’Orléans sur mon blog. Quand il était petit, je lui disais « tu es le plus beau petit garçon du monde » et je le pensais. Evidemment quand il s’est mis à le répéter partout à l’école, il a eu quelques soucis (lol) mais ça a dû lui donner une confiance en lui que je perçois aujourd’hui, même s’il n’aime plus que je lui dise qu’il est superbe. Et d’un autre côté, je ne le lui dirais pas, qui le lui dirait? Les mères sont là pour ça….
Je n’ai pas d’enfant, c’est important de le dire en préambule pour expliquer peut-être (partiellement) le fait que je ne vous comprends pas. J’aime votre texte et sa sincérité dénuée de faux semblants mais je ne le comprends pas. Quel est donc ce regard comme un mauvais sort, comme une malédiction qui le poursuivra toute sa vie mettant en péril son équilibre d’homme ? À lire, comme ça, du dehors, la lectrice que je suis crains de comprendre que ce regard que sur lui vous posez implique des tas de non-dits pires qu’un virus endémique… Vous nous dites quoi, au fond, de ce regard sur votre fils. Que contient-il donc qu’il vous paraisse poison ?
Oulà…
Ce regard que je pose sur mon fils, c’est l’amour absolu d’une mère, c’est la fascination que l’on peut éprouver face à un être humain qui sort de votre ventre et qui n’est pas vous. C’est un regard unique.
« Avec l’amour d’une mère, la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient jamais »
Romain Gary
C’est de ça dont il est question et je crois bien que ce phénomène se déploie de manière spectaculaire quand il s’agit du sexe opposé.
J’espère avoir été plus claire.